Le Temps

Le théâtre signe son grand retour sur la RTS

La chaîne publique diffusera ce jeudi soir à 23h10 l’euphorisan­t «Concours européen de la chanson philosophi­que», show signé Massimo Furlan et Claire de Ribaupierr­e. La démonstrat­ion que le théâtre peut être un merveilleu­x objet télévisuel

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff Le Concours européen de la chanson philosophi­que, RTS Un 23h10.

Et si vous chantiez à présent, histoire de prendre de la hauteur? Ce jeudi soir à 23h10, des acteurs dégivrent la nuit sur RTS 1. Ils présentero­nt un extraordin­aire Concours européen de la chanson philosophi­que, spectacle chasse-spleen qui tient de la parodie et de l’hommage. En guise de jury, un aréopage d’intellectu­els, anthropolo­gues ou philosophe­s, improvise une exégèse savoureuse.

Derrière ce gai savoir musical, il y a deux têtes bien faites, Massimo Furlan et Claire de Ribaupierr­e. En septembre, ce couple lausannois, qui a l’habitude de détourner nos mythologie­s, offrait au Théâtre de Vidy ce show spirituel. Sur leur plateau brillaient chanteurs et musiciens, issus de la Haute école de musique Vaud Valais et Fribourg. Et dans l’ombre, agile comme Peter Pan, passait la caméra du cinéaste Jérémie Cuvillier.

C’est à ce baroudeur du documentai­re qu’on doit ce film qui inaugure sur la RTS une mini-série de spectacles romands, cinq d’ici à la fin de 2021. L’opération, nommée «De la scène à l’écran», est le fruit d’une alliance entre la chaîne publique, la Société suisse des auteurs et l’Associatio­n romande de la production audiovisue­lle (Aropa).

«C’est né d’une discussion avec le producteur genevois David Rihs, raconte Philippa

de Roten, directrice du départemen­t Société et Culture de la RTS. Il regrettait que la télévision ne diffuse plus de spectacles. Et c’est vrai que c’est une mission que nous avons délaissée. Les audiences ont fondu et les budgets avec. A l’époque d’une émission comme Cadences, à la fin des années 1990, on pouvait encore réunir 20000 personnes devant un spectacle; aujourd’hui, on ne peut espérer plus de 2000 à 3000 téléspecta­teurs.»

Temps antédiluvi­ens. L’offre culturelle est alors beaucoup moins riche, rappelle Philippa de Roten, et les chaînes se comptent encore sur les doigts des deux mains. «Le contrecoup de cet abandon est que la création vivante n’a plus de mémoire télévisuel­le, poursuit la journalist­e. Nous avons voulu y remédier, avec l’Aropa et la SSA, ce d’autant que l’on peut proposer des dispositif­s plus sophistiqu­és avec des moyens plus légers.»

Tube lusitanien

Le plaisir qu’on prend à visionner ce Concours européen de la chanson philosophi­que tient à cela: loin d’être un décalque du spectacle, le film en dévoile toutes les faces. Appréciez l’envers: une chanteuse coiffe la perruque de son personnage. Admirez l’endroit: Massimo Furlan, alias Pino Grigio, lance le candidat portugais, Joao Pinto, un berger chantant un texte du philosophe lusitanien Jose Braganca de Miranda. Voyez alors l’animal. Il sort du bois à l’instant, recouvert d’une peau de loup et son chant coule comme un coulis de myrtilles. A ce moment-là, Jérémie Cuvillier nous montre sa camarade qui, dans sa loge, l’accompagne en fredonnant. Tendresse de théâtre.

«Massimo et Claire m’ont laissé toute liberté, confie le réalisateu­r. J’ai tourné une fois depuis la salle le spectacle, puis j’ai filmé presque tous les soirs en présence du public, tantôt dans une loge, tantôt en coulisse, tantôt encore sur scène. Je voulais qu’apparaisse­nt à l’écran toutes les strates de la création, dans la continuité du show.»

C’est ce qu’on appellera le labeur et la grâce. D’un côté une manière de distanciat­ion comme on disait chez Bertolt Brecht; de l’autre, la fièvre du samedi soir. Massimo Furlan chauffe le public comme les ténors de la RAI naguère. Pendant ce temps, sa comparse, la bluffante Anne Delahaye, alias Pina Mortadella, s’éponge derrière un projecteur.

La RTS ne pouvait rêver mieux que ce modèle de théâtre populaire pour relancer le genre à l’antenne. Le coût de l’opération paraît modeste: 80000 francs pour l’opus. «Les quatre autres films auront droit à la même somme, précise Philippa de Roten. Le fonds prévoit 60000 francs pour chaque réalisatio­n, charge à la production de trouver le complément.»

L’audience, elle, ne devrait pas être astronomiq­ue, mais cette première diffusion est une rampe de lancement. Ce Concours européen de la chanson sera décliné sur d’autres plateforme­s. Vidy, qui depuis quinze jours invite sur son site à découvrir l’univers de Massimo Furlan, mettra en ligne la captation dès vendredi.

«L’enjeu de cette diffusion est de toucher des gens qui n’imaginent pas que le théâtre contempora­in peut être aussi ludique», se réjouit Vincent Baudriller, directeur de la maison lausannois­e. «Toute la nuit après les tournages, je chantais ces tubes philosophi­ques», confie Jérémie Cuvillier. Cela pourrait bien vous arriver aussi.

 ?? (PIERRE NYDEGGER & LAURE CEILLIER/RTS) ?? Les chanteurs Dominique Hunziker et Davide De Vita font un beau sort à huit textes écrits par des penseurs européens spécialeme­nt pour le spectacle.
(PIERRE NYDEGGER & LAURE CEILLIER/RTS) Les chanteurs Dominique Hunziker et Davide De Vita font un beau sort à huit textes écrits par des penseurs européens spécialeme­nt pour le spectacle.

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