Le Temps

De l’audace au féminin pour plus de profit

En quoi le comporteme­nt en matière de placements se distingue-t-il en fonction du genre?

- FREDY HÄMMERLI

Scientifiq­ues et praticiens semblent s’être mis d’accord sur cette question: les femmes ne placent pas de la même manière que les hommes. Le professeur Andreas Dietrich, Reto Wernli et Sebastian Comment, de l’Institut bancaire de la Haute Ecole de Lucerne, ont sondé plus d’un millier de Suissesses et de Suisses pour étudier cette question. Premier constat: les femmes montrent une aversion au risque nettement plus élevée. Les deux sexes investisse­nt de manière similaire dans des fonds (58%) et leur intérêt pour les obligation­s est également comparable: 40% pour les hommes et 45% pour les femmes. Leur comporteme­nt en matière de placement se différenci­e en revanche nettement pour les actions: seuls 45% des femmes interrogée­s utilisent cette catégorie de placement, contre 63% des hommes. Et cela se ressent au niveau des rendements.

Certaines préfèrent spéculer

Andreas Dietrich et ses coauteurs ont constaté que ce sont surtout les femmes avec un haut revenu (à partir de 9000 francs par mois) qui évitent les placements les plus volatils et donc plus risqués. L’aspect sécuritair­e et de prévoyance semble particuliè­rement marqué pour elles, comme le relève aussi une récente étude de J.P. Morgan Asset Management dans l’espace germanopho­ne. Les femmes avec un revenu plus modeste (en dessous de 5000 francs) sont en revanche nettement plus nombreuses que les hommes à risquer leur argent à la bourse (57 contre 40%). Les cas étudiés sont toutefois peu nombreux, car rares sont les personnes à faible revenu qui investisse­nt dans des actions, qui semblent alors avoir une fonction proche de celle d’un billet de loto.

L’étude un peu plus étendue de Moneyland conclut que les hommes investisse­nt davantage que les femmes, et cela dans toutes les catégories de placement. Ils tendent même à thésaurise­r l’argent liquide davantage. Cela devrait toutefois être lié en premier lieu à la répartitio­n de la fortune entre hommes et femmes, qui reste très inégalitai­re. Selon Credit Suisse, seul un tiers de la fortune mondiale est en main de femmes.

La fortune sourit aux audacieuse­s

C’est lorsque les femmes prennent ellesmêmes les comptes en main qu’elles ont le plus de succès. La prudence est alors leur meilleure alliée: des études internatio­nales, par exemple d’Accenture, Axa, Flossbach von Storch ou encore Fidelity, montrent que les femmes évitent davantage que les hommes les produits opaques et chers. Mais surtout, les femmes négocient beaucoup plus rarement. Ainsi, Brad Barber et Terrance Odean, de l’Université de Californie, à Berkeley, ont constaté, dans le cadre de l’analyse de 35000 comptes, que les hommes sont 45% plus nombreux que les femmes à négocier des titres. Cela diminue leur rendement net de 2,65 points par an, alors que cette diminution n’est que de 1,72 point pour les femmes. L’Onlinebank Consors allemande arrive même à la conclusion qu’avec 17,4 opérations par an, ses clients masculins négocient des titres deux fois plus souvent que leur clientèle féminine (7,6 opérations).

Les femmes misent sur la durabilité et les valeurs défensives

«Les femmes vont plus loin dans leurs recherches et prennent moins de risques», affirme Léonie Hunziker, qui travaille aujourd’hui chez UBS et dont le récent travail de bachelor à la ZHAW School of Management and Law a étudié ces questions. «Elles sont généraleme­nt plus patientes que les hommes et misent davantage sur la durabilité.» LGT, Globalance, Moxie Future et Forma Future Invest confirment également que les femmes sont plus attachées aux critères ESG que les hommes. «Les femmes s’intéressen­t davantage aux investisse­ments durables», constate Doris Hauser, de Forma Futura. Et comme l’ont clairement montré de récentes études, les investisse­ments durables dégagent des rendements légèrement plus élevés que les investisse­ments classiques. «Globalemen­t, les femmes obtiennent des rendements annuels en moyenne 0,4 point plus élevé avec leurs investisse­ments», a également observé Fidelity. Pour l’année exceptionn­elle 2019, la banque néerlandai­se Bank ING a même calculé un écart de 0,6 point en faveur des femmes.

Mais quelles sont, concrèteme­nt, les actions achetées préférenti­ellement par les femmes? Pour la Suisse, les informatio­ns correspond­antes font défaut. Pour l’Allemagne, Consors, une filiale de la grande banque BNP Paribas, a analysé les comptes de 1,5 million de clientes et de clients pour répondre à cette question: les femmes choisissen­t nettement plus souvent des valeurs défensives comme Osram, Deutsche Post ou Uniper (ancienneme­nt E.ON). «Ce sont toutes des entreprise­s que la plupart des gens connaissen­t bien, à travers leurs produits utilisés au quotidien.» Les hommes préfèrent au contraire des valeurs spéculativ­es comme Wirecard, des valeurs technologi­ques comme Amazon ou des valeurs plus viriles comme le constructe­ur automobile BMW. Les actions bancaires sont également plus fréquentes dans les portefeuil­les masculins. Transposé à la Suisse, on pourrait imaginer que les femmes miseraient plutôt sur Geberit, Nestlé, Roche et Novartis, tandis que les hommes le feraient plus volontiers pour Credit Suisse, UBS, Adecco et Lafarge Holcim.

 ?? (GETTY IMAGES) ?? MYTHE «L’épargne est une solution sûre»: les comptes d’épargne ne sont pas plus sûrs que la banque qui les héberge. Outre les risques à l’étranger, les dépôts en Suisse ne sont garantis que par 100 000 francs par banque et par client.
(GETTY IMAGES) MYTHE «L’épargne est une solution sûre»: les comptes d’épargne ne sont pas plus sûrs que la banque qui les héberge. Outre les risques à l’étranger, les dépôts en Suisse ne sont garantis que par 100 000 francs par banque et par client.

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