Un plan avant que l’Europe n’implose
En plus de ses effets catastrophiques sur l’économie et les populations du Vieux-Continent, la crise du Covid-19 a déstabilisé l’édifice européen
■ Mais le plan de relance à 500 milliards d’euros présenté par Angela Merkel et Emmanuel Macron réaffirme la volonté de l’UE d’agir en commun
■ En interférant dans un programme de la BCE, la justice allemande «menace l’unité du droit européen», selon un ancien juge de la Cour de justice de l’UE
■ La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, doit, elle, encore prouver qu’elle ne «roule» pas pour Berlin mais qu’elle défend les 27 Etats membres
La dette ou la loi. Depuis le jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 5 mai dernier visant à encadrer les rachats de dettes publiques par la Banque centrale européenne (BCE), pourtant approuvés par les Etats de la zone euro, la question pesait au-dessus des institutions communautaires: qui aura, maintenant, le courage politique de défendre l'Union européenne? La réponse est venue lundi, lors du sommet en visioconférence entre Angela Merkel et Emmanuel Macron, avec un engagement qui fera date: un plan de relance de 500 milliards d'euros, sous forme de dotations financées par des emprunts émis «au nom de l'UE». Une décision proche de la fameuse formule de Mario Draghi, l'ancien gouverneur de la BCE, venu à bout des marchés financiers le 26 juillet 2012 en affirmant être prêt à tout – «whatever it takes» – pour sauver l'euro, alors enlisé dans la crise de la dette souveraine grecque.
La mort lente du dessin européen, à la suite de la contamination du Vieux-Continent par le Covid-19, n'est donc pas assurée de l'emporter. Mais attention: le venin de l'épidémie a déjà fait très mal. Du côté politique, la décision des juges constitutionnels allemands promet d'alimenter le ressentiment de leurs collègues hongrois ou polonais, résolus à faire primer le droit national – de plus en plus aux ordres du pouvoir dans ces deux pays – sur le droit européen. Du côté sanitaire, l'impuissance des réponses communautaires en termes de stocks stratégiques de masques de protection ou de tests est devenue un boulet pour Bruxelles, face aux opinions tétanisées par la peur du coronavirus. Du côté financier enfin, la fracture est devenue un gouffre. L'Italie, dont le système de santé a en partie craqué, exige d'être aidée sans conditions, malgré son endettement déjà record, à près de 160% du PIB en 2020. Le feu économique menace à tous les étages, devant l'ampleur des dommages sociaux causés par la pandémie et les affrontements commerciaux programmés avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, cet ex-membre peu pressé de conclure un accord d'ici à la fin décembre. «Le feu du Brexit a allumé l'incendie. Il menace le projet européen. Il faut des pompiers» s'alarmait, début 2020, l'ancien ministre britannique Denis Mac Shane, auteur de «Brexiternity».
Vient l'autre séisme, qui concerne la Suisse, membre depuis 2008 de l'espace Schengen de libre circulation: celui des frontières. «Leur fermeture chaotique, à la mi mars, a illustré l'incapacité des capitales à se coordonner, y compris pour des pays aussi imbriqués que la France, l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne» juge le sénateur Français André Gattolin. La réouverture de ces mêmes frontières ces jours-ci dans un désordre similaire, sans attendre la mi-juin préconisée par la Commission européenne, témoigne de l'impuissance de Bruxelles. Qu'en déduire? «A moyen terme, la pression sera forte pour lever les barrières aux échanges et au passage des travailleurs» estime
Pascal Lamy, président de l'Institut Jacques Delors. Mais à long terme, tant l'espace Schengen semble mal en point, incapable de résister, avant le Covid-19, aux pressions migratoires. L'Europe de la libre circulation, sécurisée par des frontières extérieures bien gardées, est, plus que jamais, à réinventer.
L'Union européenne est, enfin, en réanimation économique. La récession programmée, estimée à 7,7% du PIB, s'annonce colossale. Ses géants industriels, tous tributaires de l'atelier du monde et de l'immense marché d'avenir qu'est la Chine, donnent aujourd'hui surtout l'impression de jouer la montre, redoutant les futures normes écologiques prévues dans le cadre du Green New Deal défendu par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Or les 500 milliards d'euros mis sur la table par le tandem Macron-Merkel, en plus des 500 milliards déjà annoncés par l'Eurogroupe, ne sont pas de nature à changer la donne. Il s'agit d'une béquille alors que le secteur privé, dans de nombreux domaines, a un besoin urgent d'être mis sous respiration artificielle pour ne pas succomber. Selon la Coface, un assureur français spécialisé dans les échanges internationaux, 18% des entreprises européennes pourraient faire faillite dans l'année à venir. Le chiffre monte jusqu'à 22% en Espagne, très tributaire du tourisme. La pandémie est, pour l'Europe des PME, une bombe à retardement.
Le plus grave est enfin le chaudron national-populiste, car il est incandescent. En Hongrie, Viktor Orban triomphe et s'apprête, le 4 juin, à commémorer «l'affreux» traité de Trianon qui, en 1920, dépeça l'Empire austro-hongrois. En Pologne, le parti Droit et justice au pouvoir a reporté
in extremis l'élection présidentielle, quatre jours avant le 10 mai, date du scrutin, mais tient la corde vu les bonnes chances du président sortant, Andrzej Duda, issu de ses rangs. En Italie, Matteo Salvini et la Ligue surfent sur l'absence de consultation du parlement par le gouvernement fragile de Giuseppe Conte. Et en France, Marine Le Pen entend tirer profit du regain de colère contre Emmanuel Macron «l'européiste». On savait l'Union européenne malade. Le tandem Merkel-Macron vient de l'admettre en soins d'urgence.
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