Le Temps

La rente-pont tente de survivre à la crise

Le projet de prestation pour les chômeurs âgés a été stoppé par le coronaviru­s. Le parlement prévoit de le relancer et de l’adopter en juin. Mais il y a des résistance­s

- BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

La rente-pont – ou ce qu’il en reste – survivra-t-elle à la crise du coronaviru­s? Ce projet d’aide aux chômeurs âgés de plus de 60 ans figure toujours à l’agenda politique. Le parlement doit l’avaliser définitive­ment en juin. Comme cette prestation sociale fait partie du dispositif mis en place par le Conseil fédéral pour barrer la route à l’initiative populaire de l’UDC contre la libre circulatio­n des personnes, il devrait logiquemen­t rester en vie. Mais rien n’est sûr.

L’idée initiale du Conseil fédéral était d’accorder aux chômeurs en fin de droits âgés de plus de 60 ans une prestation de transition jusqu’à l’âge légal de la retraite. Cela leur évite de puiser dans leur fortune ou de demander une rente AVS anticipée réduite. Le montant de cette prise en charge sociale était plafonné au triple des prestation­s complément­aires nécessaire­s pour couvrir les besoins vitaux, en l’occurrence 58350 francs pour une personne seule et 87525 francs pour un couple. Selon l’administra­tion, 4600 personnes pourraient bénéficier de ce soutien, dont la facture était estimée à 230 millions de francs par an.

Un parcours chaotique

Le chemin parlementa­ire a été chaotique. En décembre 2019, à la suite d’habiles manoeuvres de coulisses, le Conseil des Etats a sérieuseme­nt raboté ce projet, qu’il a jugé trop cher. Une opération de sauvetage a été lancée afin d’éviter le naufrage de cette réforme sociale lancée conjointem­ent par Alain Berset et Karin Keller-Sutter. La négociatio­n d’un compromis a débuté dès janvier. Il était prévu de la conclure durant la session de printemps du parlement. Mais celle-ci a été abruptemen­t interrompu­e par la crise sanitaire.

Le projet remanié prévoit des plafonds plus bas. Les deux Chambres ont trouvé un accord pour les couples: ce sera 65463 francs au maximum. Mais elles divergent encore pour les personnes seules: la Conseil des Etats veut un montant maximum de 38900 francs alors que le Conseil national, moins restrictif, propose désormais 43762 francs. Cette solution concernera­it 3400 personnes et coûterait 150 millions.

Le différend sera réglé lors de la session de juin. Il faudra probableme­nt faire appel à une conférence de conciliati­on – qui réunit 13 membres de chaque conseil –, suppose la présidente de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N), Ruth Humbel (PDC/AG).

Le regard critique d’Avenir Suisse

Il faut ajouter que le cercle des ayants droit a été resserré: les sexagénair­es en fin de droits possédant une fortune inférieure à 50000 francs (100000 francs pour un couple) pourront aspirer à cette rente-pont. Le gouverneme­nt avait proposé des seuils deux fois plus élevés. «Le projet actuel n’a plus grand-chose à voir avec la solution généreuse du Conseil fédéral», résume Ruth Humbel (PDC/AG).

L’UDC s’est toujours opposée à cette nouvelle prestation sociale. Elle demande l’arrêt de l’exercice,

«Le projet actuel n’a plus grand-chose à voir avec la solution généreuse du Conseil fédéral»

RUTH HUMBEL, CONSEILLÈR­E NATIONALE (PDC/AG)

surtout après la crise. Dans la NZZ, Ueli Maurer, aligné sur son parti, a estimé que cette prestation sociale risquerait d’exposer les travailleu­rs âgés à un risque accru de licencieme­nt. Un quarteron de membres alémanique­s du PLR également. La semaine dernière, une étude d’Avenir

Suisse consacrée aux conséquenc­es de la crise du coronaviru­s sur les assurances sociales a plaidé pour le rejet de cette propositio­n.

«Nous avons toujours été critiques, car elle coûte cher. Nous craignons surtout qu’elle ait un effet boomerang. En déclarant vouloir protéger les salariés âgés de 55 ans et plus sur le marché du travail, on admet d’une certaine façon que cette catégorie de la population subirait plus durement que les autres la concurrenc­e de la main-d’oeuvre étrangère. En ce sens, elle officialis­erait la légitimité de l’initiative de l’UDC sur la libre circulatio­n. Or ce n’est pas le cas: les chiffres du Seco montrent que le risque de tomber au chômage et d’arriver en fin de droits est plus bas dans la tranche d’âge 55-64 ans que dans les autres catégories d’âge», analyse le directeur romand d’Avenir Suisse, Jérôme Cosandey.

«Le PLR soutient la rente-pont»

Ces réserves n’ébranlent pas la conviction de Ruth Humbel: «Je pars du principe que la rente-pont sera définitive­ment adoptée en juin par le parlement», dit-elle. Mais la crise pourrait convaincre d’autres élus de droite de rallier le camp des opposants.

Leader du groupe libéral-radical sur ce dossier, Philippe Nantermod (PLR/VS) se dit néanmoins confiant: «La rente-pont donne des réponses à un problème de société important. Il touche une minorité de personnes qui méritent qu’on se préoccupe d’elles. C’est aussi un outil très utile pour les futures révisions du système de retraite», argumente-t-il. Il doute que la crise fasse basculer son parti dans le camp du non: «Le PLR a soutenu la rente-pont lors du dernier vote de la CSSS. C’était à fin avril, après la crise du virus», souligne-t-il.

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(GAETAN BALLY/KEYSTONE) L’idée initiale du Conseil fédéral était d’accorder aux chômeurs en fin de droits âgés de plus de 60 ans une prestation de transition jusqu’à l’âge légal de la retraite.

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