Contre le Covid-19, faut-il baisser les impôts?
CRISE ÉCONOMIQUE Des voix s’élèvent pour que les PME puissent constituer des provisions sur leur exercice 2019 afin de faire face aux difficultés provoquées par le coronavirus en 2020. Quelques cantons comme le Valais le permettent, mais la majorité s’y o
Les PME et les indépendants doivent-ils pouvoir payer moins d’impôts en 2019 afin d’avoir plus de ressources pour affronter une année 2020 aussi incertaine que risquée? Certains cantons, comme le Valais ou l’Argovie, permettent aux entreprises de constituer des provisions extraordinaires au titre de l’exercice 2019, ce qui diminuera leur bénéfice et donc leurs impôts. D’autres administrations comme Genève et Vaud estiment que la loi ne le permet pas, d’autres enfin réfléchissent à cette possibilité d’aider l’économie.
Le Valais est le seul canton romand qui autorise systématiquement ce genre de provisions extraordinaires pour les entreprises ayant subi directement et indirectement les conséquences négatives liées à l’épidémie de Covid-19. Jusqu’à 50% du bénéfice imposable avec un maximum de 300000 francs et à condition qu’elles soient dissoutes durant l’année 2020.
«Vu que les premiers cas de Covid-19 sont apparus au début de décembre 2019, nous estimons qu’une provision liée à la pandémie et portant sur la période fiscale 2019 est justifiée», détaille Beda Albrecht, le responsable du service des contributions. «Lorsque nous taxerons les entreprises à partir de juillet 2020, elles risquent de se trouver encore dans une situation précaire, et dans ce cas elles auront besoin d’aide. Une charge fiscale moins lourde pourrait conduire au remboursement des acomptes déjà versés pour 2019, ce qui pourrait également constituer une aide à la relance pour les entreprises. Lorsque l’on regarde le caractère exceptionnel de la situation, une telle mesure est justifiée économiquement.»
Refus ou réflexion en cours
Cette mesure, tous les cantons ne veulent pas y consentir. Côté alémanique, l’Argovie, la Thurgovie, Zoug l’ont acceptée, mais Schwytz et Saint-Gall ont annoncé qu’ils n’accepteraient pas de telles provisions pour le calcul de l’impôt 2019. En Suisse romande, des projets dans ce sens ont été déposés dans plusieurs parlements cantonaux, tandis que certaines administrations estiment que de telles provisions ne sont pas admissibles.
Serait-ce parce qu’elles diminueraient les bénéfices et donc les rentrées fiscales pour 2019? En Valais, l’impact à court terme sur les finances publiques est estimé entre 25 et 30 millions de francs pour les communes et autant pour le canton, soit 10 à 15% des recettes issues des personnes morales et des indépendants.
A long terme, il devrait être limité sur les finances publiques, assure Beda Albrecht: «Si des entreprises font faillite en 2020, elles ne paieront de toute façon pas l’impôt lié à l’exercice 2019 et celles qui feront des pertes et qui survivront redeviendront bénéficiaires plus rapidement. Nous voulons surtout éviter des faillites.»
Eviter les prêts d’urgence de la Confédération
Les cantons et la Confédération ont prévu d’autres mesures pour soutenir les entreprises et les indépendants. Notamment les quelque 60 milliards de francs de «prêts Covid» distribués par la Confédération depuis fin mars. «Mais la constitution de provisions extraordinaires permettrait aux entreprises de ne pas solliciter ce type de prêt d’urgence, qu’il faudra rembourser, avance le fiscaliste Thierry Boitelle, de l’étude Bonnard Lawson. Si une entreprise prévoit une perte pour 2020 et qu’en plus elle doit payer un impôt élevé au titre de 2019, elle risque de manquer de liquidités.»
Selon lui, la question est cruciale pour les entreprises, qui plus est en cette période de bouclage des comptes. «Les disparités cantonales ne sont pas logiques. On a vraiment besoin d’un débat public sur cette question», conclut Thierry Boitelle.
Un débat a déjà eu lieu sur le plan du droit. En principe, des provisions sont possibles en lien avec des événements s’étant produits durant un exercice comptable, c’est-à-dire souvent avant le 31 décembre. Reste à savoir si la crise du coronavirus a véritablement commencé en 2019. Le grand public a découvert le Covid-19 en février 2020, le premier cas en Suisse a été identifié le 25 février au Tessin et le Conseil fédéral a décrété l’état d’urgence le 16 mars.
Mais l’origine de ce nouveau virus remonte à la fin de l’année 2019, en Chine et peut-être aussi en Europe, puisque des cas pourraient être apparus en France dès mi-novembre, selon des scientifiques basés en Alsace.
Feu vert d’EXPERTsuisse
Pour EXPERTsuisse, les effets de la pandémie en Suisse sont postérieurs à la date de clôture du bilan. Mais, estime la faîtière des auditeurs, fiscalistes et fiduciaires dans une note, «la situation extraordinaire» permet d’envisager de créer des provisions supplémentaires, conformément au Code des obligations, afin de contribuer «à la prospérité durable de l’entreprise». Feu vert aux provisions extraordinaires, donc.
Mais pas pour l’impôt fédéral direct, a décidé l’Administration fédérale des contributions (AFC). La Conférence suisse des impôts, une association qui regroupe les fiscs cantonaux et l’AFC, s’est prononcée contre la constitution de «provisions Covid», une position soutenue par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances.
L’opinion de ces deux entités est soulignée par le Département des finances du canton de Genève, qui n’accepte pas ce type de provisions extraordinaires. Pour une question de droit, aussi: «Les provisions sont admises fiscalement lorsque les pertes ou les obligations sont survenues dans l’exercice commercial au cours duquel la provision est constituée. Or, en l’espèce, comme les effets économiques de la pandémie de Covid-19 n’étaient pas encore prévisibles en 2019, la législation fiscale ne permet pas de prendre en compte de telles provisions.»
Le canton du bout du lac précise avoir prévu d’autres mesures fiscales efficaces pour répondre aux problèmes de liquidités des entreprises, telles que la suppression des intérêts moratoires sur les factures d’impôts et les acomptes provisionnels. Quant à l’impact sur les finances cantonales d’une telle mesure, il «ne peut pas être estimé en l’état».
A Fribourg, une motion parlementaire a été déposée le 20 avril pour autoriser la constitution de provisions représentant jusqu’à 50% du bénéfice net ou de l’activité indépendante, avec là aussi une limite à 300000 francs par entreprise. Ces prévisions devant être dissoutes en 2020, cette mesure serait fiscalement neutre sur la période 2019-2020, souligne la motion. Le Conseil d’Etat fribourgeois se prononcera prochainement sur le sujet, précise la Direction des finances.
Dans le Jura, une interpellation a été déposée dans ce sens et le gouvernement communiquera sa réponse vraisemblablement lors du prochain parlement jurassien fixé les 27 et 28 mai prochain, précise Pascal Stucky. Le chef du service des contributions mentionne que «l’Administration fiscale jurassienne n’est pas favorable à ce type de provisions générales forfaitaires».
Le canton de Neuchâtel autorise les provisions extraordinaires, mais pas de manière systématique. Il faut qu’un «risque réel et objectif» soit identifié, conformément aux normes comptables et fiscales, et que le propriétaire de l’entreprise «démontre un effort pour conserver les liquidités (réduction de la rémunération, renonciation à prélever pour des besoins personnels, renonciation à exiger le remboursement de prêts, etc.), détaille le Département des finances et de la santé. L’administration précise que des provisions sont aussi refusées, par exemple dans les domaines peu ou pas impactés par la crise du coronavirus. La mesure n’étant pas systématique, il est impossible de connaître le coût de l’approche neuchâteloise pour les finances du canton.
Le canton de Vaud, enfin, n’autorise pas la constitution de provisions «à caractère général et forfaitaire», car le cadre réglementaire ne le permet pas, détaille la Direction générale de la fiscalité. Pour qu’une provision soit déductible fiscalement, le motif nécessitant sa constitution doit être né durant la période fiscale concernée, rappelle l’administration, s’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal fédéral. L’Administration cantonale des impôts affirme néanmoins examiner les provisions et amortissements revendiqués «en fonction de la marge d’interprétation dont elle dispose» et conclut qu’il reviendrait au législateur fédéral de modifier éventuellement le droit pour permettre des provisions Covid.
En principe, des provisions sont possibles en lien avec des événements s’étant produits durant un exercice comptable. Reste à savoir si la crise du coronavirus a véritablement commencé en 2019
«Si une entreprise prévoit une perte pour 2020 et qu’en plus elle doit payer un impôt élevé au titre de 2019, elle risque de manquer de liquidités»
THIERRY BOITELLE,
FISCALISTE À L’ÉTUDE BONNARD LAWSON