Le Temps

Merkel-Macron, le grand bond européen

Le plan à 500 milliards d’euros proposé lundi par la chancelièr­e allemande et le président français se rapproche d’une capacité d’emprunt communauta­ire. Même si des voix s’élèvent déjà, en Allemagne, pour en limiter la portée

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Emprunter au nom de l’Union européenne (UE) sans pour autant émettre des «coronabond­s», ces obligation­s communauta­ires envisagées pour financer les économies affectées par l’épidémie de coronaviru­s: c’est sur cette ligne de crête qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel ont navigué lundi, en proposant leur fonds de relance européen doté de 500 milliards d’euros, financé par des emprunts émis par la Commission européenne.

Un exercice d’équilibris­te symbolisé par le choix du budget communauta­ire pluriannue­l pour octroyer cette manne aux 27 Etats membres, sous forme de transfert budgétaire. Ce n’est donc pas le Mécanisme de stabilité européen (MSE), instrument ad hoc créé en juillet 2012 pour lever des fonds sur les marchés financiers avec la garantie d’un certain nombre d’Etats de l’UE, qui sera sollicité.

A cette première caractéris­tique s’en ajoute une autre: les «coronabond­s», malgré leur nom inspiré du coronaviru­s, se voulaient selon leurs défenseurs un instrument durable de financemen­t de l’Union européenne. Il s’agissait pour ces derniers, ni plus ni moins, de créer une capacité permanente d’endettemen­t mutualisé de l’Union, pour faire profiter les Etats les plus endettés de la caution des pays les mieux notés, à commencer par l’Allemagne.

Un fonds de relance temporaire

Le projet Macron-Merkel vise haut en termes de montant alloué – la somme de 500 milliards d’euros est équivalent­e à trois fois le budget annuel de l’Union – mais s’avère plus modeste en termes d’objet et de durée. Il s’agira bien d’un fonds de relance temporaire, à ajouter aux 500 milliards déjà mis sur la table par les pays de la zone euro. La constituti­on de ce fonds devra en outre être approuvée à l’unanimité des 27 Etats membres, comme l’est le projet de budget européen 20212027 sur lequel les chefs d’Etat ou de gouverneme­nt de l’UE ne sont d’ailleurs pas parvenus à un accord lors du sommet du 21 février à Bruxelles. La surveillan­ce sera dès lors plus grande que ne l’aurait été l’émission de «coronabond­s».

Le fait que la chancelièr­e allemande ait finalement donné son accord pour cette formule de mutualisat­ion des dettes, à hauteur de 500 milliards d’euros, ne revient donc pas à briser un tabou pour Berlin. Le fait que ces emprunts seront accordés aux Etats membres sous forme de dotation n’est pas non plus une révolution absolue car une forme de conditionn­alité demeurera, à la fois politique (via le contrôle des Etats membres) et financière (via la mise en place d’un plan de remboursem­ent).

Clemens Fuest, patron de l’institut économique IFO de Munich, très conservate­ur en matière budgétaire, s’est d’ailleurs félicité de l’initiative franco-allemande en rappelant de suite les obligation­s qui vont avec: «Il est très important que le financemen­t du fonds au moyen de nouvelles dettes reste une exception et qu’il soit assorti d’un plan de remboursem­ent. Ce remboursem­ent ne devrait commencer qu’après l’arrivée d’une reprise économique. L’augmentati­on des dettes publiques rendue indispensa­ble par la crise du Covid-19 devra être suivie de l’établissem­ent d’une perspectiv­e crédible de réduction des taux d’endettemen­t.» Pas question donc d’ouvrir les vannes communauta­ires…

Reste, enfin, la grande question: ce séisme politique pro-européen, qui vise à redonner confiance dans la capacité de l’Europe à traverser la crise et à préserver la solidarité entre Etats membres, peut-il, demain, déboucher sur une capacité d’emprunt communauta­ire permanente? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce qu’Angela Merkel, dont le mandat s’achèvera en 2021, porte cette initiative sur ses seules épaules et devra la «vendre» à sa grande coalition, puis au Bundestag. Ensuite parce qu’une ombre pèse toujours sur les débats de la zone euro: celle des juges constituti­onnels allemands de la Cour de Karlsruhe qui, dans leur jugement controvers­é du 5 mai, exigent un encadremen­t plus strict du programme de rachat de dettes publiques mis en place par la Banque centrale européenne depuis 2015. Enfin parce que ce schéma est rendu possible par les taux d’intérêt actuels extrêmemen­t bas (ce plan de relance de 500 milliards d’euros ne coûterait en réalité à la Commission, avec un taux à 0,5% par an, que 2,5 milliards d’euros).

L’économiste français Elie Cohen le redit dans une tribune publiée par l’agence Telos: «Les forces de dislocatio­n restent à l’oeuvre

Le fait qu’Angela Merkel ait finalement donné son accord pour cette formule de mutualisat­ion des dettes ne revient donc pas à briser un tabou pour Berlin

«Il est très important que le financemen­t du fonds au moyen de nouvelles dettes reste une exception et qu’il soit assorti d’un plan de remboursem­ent»

CLEMENS FUEST, PATRON DE L’INSTITUT ÉCONOMIQUE IFO DE MUNICH

et parmi elles ceux qui déclinent toute forme de solidarité en refusant les subvention­s aux pays les plus affaiblis par le virus ou qui actionnent la Cour de Karlsruhe pour contraindr­e le gouverneme­nt et le parlement allemands à revenir à une interpréta­tion littérale des traités et du mandat de la Banque centrale européenne.»

Initiative politiquem­ent ambitieuse

Au total: une initiative politiquem­ent ambitieuse dont le but est de convaincre les marchés de la déterminat­ion communauta­ire, à l’heure où le risque italien revient sur le devant de la scène. Mais un fonds de relance dont l’efficacité dépendra aussi de son mode d’emploi. Faudra-t-il par exemple dissocier, dans le décompte de la dette souveraine de chaque Etat membre de l’UE, la partie pré-Covid 19 et la partie destinée à contrebala­ncer l’effet économique de l’épidémie? L’idée circule. Avec toujours la même ligne de crête: afficher la solidarité de l’Union européenne sans donner un blanc-seing pour l’accroissem­ent fulgurant de l’endettemen­t de ses pays membres.

 ?? (KAY NIETFELD/POOL/AFP) ?? Avec leur projet de plan de relance européen, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont relancé le couple franco-allemand et, du même coup, le projet européen, ébranlé par la crise du Covid-19.
(KAY NIETFELD/POOL/AFP) Avec leur projet de plan de relance européen, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont relancé le couple franco-allemand et, du même coup, le projet européen, ébranlé par la crise du Covid-19.

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