Merkel-Macron, le grand bond européen
Le plan à 500 milliards d’euros proposé lundi par la chancelière allemande et le président français se rapproche d’une capacité d’emprunt communautaire. Même si des voix s’élèvent déjà, en Allemagne, pour en limiter la portée
Emprunter au nom de l’Union européenne (UE) sans pour autant émettre des «coronabonds», ces obligations communautaires envisagées pour financer les économies affectées par l’épidémie de coronavirus: c’est sur cette ligne de crête qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel ont navigué lundi, en proposant leur fonds de relance européen doté de 500 milliards d’euros, financé par des emprunts émis par la Commission européenne.
Un exercice d’équilibriste symbolisé par le choix du budget communautaire pluriannuel pour octroyer cette manne aux 27 Etats membres, sous forme de transfert budgétaire. Ce n’est donc pas le Mécanisme de stabilité européen (MSE), instrument ad hoc créé en juillet 2012 pour lever des fonds sur les marchés financiers avec la garantie d’un certain nombre d’Etats de l’UE, qui sera sollicité.
A cette première caractéristique s’en ajoute une autre: les «coronabonds», malgré leur nom inspiré du coronavirus, se voulaient selon leurs défenseurs un instrument durable de financement de l’Union européenne. Il s’agissait pour ces derniers, ni plus ni moins, de créer une capacité permanente d’endettement mutualisé de l’Union, pour faire profiter les Etats les plus endettés de la caution des pays les mieux notés, à commencer par l’Allemagne.
Un fonds de relance temporaire
Le projet Macron-Merkel vise haut en termes de montant alloué – la somme de 500 milliards d’euros est équivalente à trois fois le budget annuel de l’Union – mais s’avère plus modeste en termes d’objet et de durée. Il s’agira bien d’un fonds de relance temporaire, à ajouter aux 500 milliards déjà mis sur la table par les pays de la zone euro. La constitution de ce fonds devra en outre être approuvée à l’unanimité des 27 Etats membres, comme l’est le projet de budget européen 20212027 sur lequel les chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE ne sont d’ailleurs pas parvenus à un accord lors du sommet du 21 février à Bruxelles. La surveillance sera dès lors plus grande que ne l’aurait été l’émission de «coronabonds».
Le fait que la chancelière allemande ait finalement donné son accord pour cette formule de mutualisation des dettes, à hauteur de 500 milliards d’euros, ne revient donc pas à briser un tabou pour Berlin. Le fait que ces emprunts seront accordés aux Etats membres sous forme de dotation n’est pas non plus une révolution absolue car une forme de conditionnalité demeurera, à la fois politique (via le contrôle des Etats membres) et financière (via la mise en place d’un plan de remboursement).
Clemens Fuest, patron de l’institut économique IFO de Munich, très conservateur en matière budgétaire, s’est d’ailleurs félicité de l’initiative franco-allemande en rappelant de suite les obligations qui vont avec: «Il est très important que le financement du fonds au moyen de nouvelles dettes reste une exception et qu’il soit assorti d’un plan de remboursement. Ce remboursement ne devrait commencer qu’après l’arrivée d’une reprise économique. L’augmentation des dettes publiques rendue indispensable par la crise du Covid-19 devra être suivie de l’établissement d’une perspective crédible de réduction des taux d’endettement.» Pas question donc d’ouvrir les vannes communautaires…
Reste, enfin, la grande question: ce séisme politique pro-européen, qui vise à redonner confiance dans la capacité de l’Europe à traverser la crise et à préserver la solidarité entre Etats membres, peut-il, demain, déboucher sur une capacité d’emprunt communautaire permanente? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce qu’Angela Merkel, dont le mandat s’achèvera en 2021, porte cette initiative sur ses seules épaules et devra la «vendre» à sa grande coalition, puis au Bundestag. Ensuite parce qu’une ombre pèse toujours sur les débats de la zone euro: celle des juges constitutionnels allemands de la Cour de Karlsruhe qui, dans leur jugement controversé du 5 mai, exigent un encadrement plus strict du programme de rachat de dettes publiques mis en place par la Banque centrale européenne depuis 2015. Enfin parce que ce schéma est rendu possible par les taux d’intérêt actuels extrêmement bas (ce plan de relance de 500 milliards d’euros ne coûterait en réalité à la Commission, avec un taux à 0,5% par an, que 2,5 milliards d’euros).
L’économiste français Elie Cohen le redit dans une tribune publiée par l’agence Telos: «Les forces de dislocation restent à l’oeuvre
Le fait qu’Angela Merkel ait finalement donné son accord pour cette formule de mutualisation des dettes ne revient donc pas à briser un tabou pour Berlin
«Il est très important que le financement du fonds au moyen de nouvelles dettes reste une exception et qu’il soit assorti d’un plan de remboursement»
CLEMENS FUEST, PATRON DE L’INSTITUT ÉCONOMIQUE IFO DE MUNICH
et parmi elles ceux qui déclinent toute forme de solidarité en refusant les subventions aux pays les plus affaiblis par le virus ou qui actionnent la Cour de Karlsruhe pour contraindre le gouvernement et le parlement allemands à revenir à une interprétation littérale des traités et du mandat de la Banque centrale européenne.»
Initiative politiquement ambitieuse
Au total: une initiative politiquement ambitieuse dont le but est de convaincre les marchés de la détermination communautaire, à l’heure où le risque italien revient sur le devant de la scène. Mais un fonds de relance dont l’efficacité dépendra aussi de son mode d’emploi. Faudra-t-il par exemple dissocier, dans le décompte de la dette souveraine de chaque Etat membre de l’UE, la partie pré-Covid 19 et la partie destinée à contrebalancer l’effet économique de l’épidémie? L’idée circule. Avec toujours la même ligne de crête: afficher la solidarité de l’Union européenne sans donner un blanc-seing pour l’accroissement fulgurant de l’endettement de ses pays membres.
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