Le choc pétrolier n’enrayera pas la vague verte
La transition énergétique est trop installée pour être enrayée par un pétrole à bas prix. Les sources renouvelables sont en train de réussir leur stress test
Elle aussi, elle sera en «V» ou en «U». A l’image des attentes placées dans la forme de la reprise économique, les investissements dans les énergies renouvelables devraient, eux aussi, connaître un rebond l’an prochain, après un creux historique cette année.
Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié mardi soir, la crise du Covid-19 fera de l’exercice 2020 le premier du millénaire durant lequel le nombre de nouvelles installations de production d’énergie renouvelable aura baissé. Ce ralentissement a des causes connues: perturbations dans la production d’équipements et mesures de confinement. Et d’autres moins évidentes, comme des blocages dans le financement des installations. La capacité de production d’énergies propres va néanmoins augmenter de 6% cette année, pour atteindre 167 gigawatts, prévoit l’AIE. Ce sera 13% de moins, par rapport aux installations de 2019.
Dans son étude, l’AIE lance également un appel: que la relance soit combinée à une décarbonisation de l’économie. «La chute du coût des renouvelables ne suffira pas à les protéger des incertitudes créées par le Covid-19, s’inquiète son directeur, Fatih Birol. Il est important que les plans de relance puissent apporter de la confiance aux investisseurs.» L’un des risques, par exemple, est que la chute des cours du pétrole – et donc une potentielle augmentation opportuniste de la demande – conduise à abandonner des projets visant à se passer des énergies fossiles.
Après avoir sombré à moins de 12 dollars le baril fin avril, les cours du pétrole flirtent désormais avec les 30 dollars. Mais en décembre, ils étaient encore deux fois plus élevés. Une différence suffisante pour enrayer la transition énergétique? «Cette période est révolue, c’est un discours des années 2000», balaie Frédéric Potelle. L’analyste de la banque Bordier cite l’exemple, en bourse, du géant danois de l’éolien, Vestas, qui «a très bien tenu dans la phase de stress du marché et d’effondrement du baril». C’est aussi ce que d’autres experts relèvent. Cotés en bourse ou non, les actifs liés aux énergies renouvelables ont tenu le choc, tandis que ceux liés aux énergies fossiles se sont effondrés, durant ce printemps si particulier.
«Dans une réflexion à court terme, cela pourrait sembler intéressant d’installer un chauffage à énergie fossile, concède Frank Rutschmann, responsable de la section énergies renouvelables à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Mais à moyen terme, l’économie réalisée durant les premiers mois pourrait très vite se transformer en surcoûts. Nous tablons sur une remontée des prix du pétrole après la crise sanitaire. Les énergies renouvelables seront alors à nouveau plus intéressantes.»
Une démarche qui va perdurer
Les investissements en énergies renouvelables ont effectivement été freinés depuis mars. Comme dans toutes les industries. Mais Frédéric Potelle en est convaincu: «Cela ne change rien au mouvement de fond. Covid ou pas, la prise de conscience est là et elle va s’accélérer.» En Europe, souligne-t-il encore, les plans de relance mentionnent explicitement cet enjeu. Et aux Etats-Unis, le programme d’incitation pour les installations éoliennes vient d’être étendu à 2021, pour tenir compte des inévitables retards.
Une vague verte que le pétrole ou le mazout à bas prix n’interrompront pas. C’est aussi l’avis de Martin Kernen, responsable romand de l’Agence de l’énergie pour l’économie (Aenec) – une association de conseil mise sur pied par les milieux économiques suisses. «Les responsables techniques d’entreprises que nous accompagnons ont une conviction forte. Certains en auront peut-être profité pour remplir leur citerne de mazout ou de gaz.
Et des investissements seront reportés à des temps économiques moins incertains. Mais pour la plupart d’entre eux, la réduction de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 est un engagement, une démarche générale qui va perdurer.»
D’un point de vue structurel, un problème persiste néanmoins, selon Felix Nipkow, expert en énergie renouvelable auprès de la Fondation
suisse de l’énergie (SES): «Les prix du CO2 sont trop bas, ils ne reflètent pas les coûts réels, tels que les dommages climatiques. S’ils augmentaient, les coûts d’exploitation des centrales à combustibles fossiles augmenteraient aussi. Cela améliorerait la compétitivité des énergies renouvelables, qui n’émettent pas de CO2, donc ne paient pas de taxe.»
Demande en électricité accrue
En Suisse, la révision de la loi sur le CO2, dont débattra le parlement le mois prochain, prévoit un relèvement de la taxe sur les combustibles, une hausse du prix des carburants et une taxe sur les billets d’avion. Un dispositif qui vise d’ici à 2030 à réduire de moitié les émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990 et la neutralité carbone en 2050.
«Nous tablons sur une remontée des prix du pétrole après la crise sanitaire. Les énergies renouvelables seront alors à nouveau plus intéressantes»
FRANK RUTSCHMANN, RESPONSABLE DE LA SECTION ÉNERGIES RENOUVELABLES À L’OFFICE FÉDÉRAL DE L’ÉNERGIE
«Cette décarbonation implique davantage d’électrification», poursuit Felix Nipkow, en raison du remplacement des chauffages à mazout par des systèmes de pompes à chaleur, ou d’une augmentation du parc de véhicules électriques, par exemple. De quoi potentiellement doper le développement des énergies renouvelables – hydraulique, photovoltaïque et éolien – pour satisfaire cette hausse de la demande en électricité.
Avec le lancement de dizaines de programmes zéro émission en 2019, l’année 2020 devait être l’année la plus prolifique en termes de nouvelles capacités de production d’énergie propre dans le monde, rappelle l’AIE. Ce ne sera pas le cas. Mais en dépit du Covid-19, le rythme de progression sera similaire à celui de l’an dernier. Une résistance à la crise que salue lui aussi le directeur de l’agence. Mais, conclut-il, ce n’est pas une garantie absolue. Fatih Birol craint que les défis sanitaires et économiques actuels poussent les gouvernements à perdre de vue les objectifs climatiques qu’ils se sont fixés ces dernières années.
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