Le Temps

Balades au pas de l’eau le long des bisses du Valais

- ÉMILIE VEILLON

Les bisses valaisans canalisent une marche contemplat­ive, des forêts de mélèzes aux vignes. Un nouveau guide propose de les découvrir sous forme de treks inspirés du Népal

◗ Il y a cet écoulement. Doux. Constant. Pas comme le son vif d’une fontaine ou d’une cascade. C’est un glissement rapide sans fin. Celui d’une eau qui s’évade le long d’un canal taillé pour elle.

Les bisses valaisans sont les fils conducteur­s de nombreuses balades de quelques heures, faciles, en pente douce. En acheminant l’eau des torrents de montagne vers les champs de fauche, les vignes et les vergers, ces voies d’irrigation historique­s traversent aussi bien les forêts de mélèzes que les prairies de fleurs.

Marcher le long d’un bisse a un effet méditatif assez surprenant pour plusieurs raisons. A commencer par la simple présence de l’eau qui semble emporter avec elle le brouhaha mental en rythmant les foulées. «L’eau qui s’y écoule paisibleme­nt, à une vitesse qui correspond plus ou moins à celle de la marche, tient le rôle principal, confirme Gaëtan Morard, directeur et responsabl­e scientifiq­ue du Musée valaisan des bisses, à Ayent. Un bisse en dehors de sa mise en eau de juin à septembre n’a pas du tout la même ambiance. Il est comme inhabité. L’eau nous attire. C’est un élément naturel avec lequel on associe fortement nos loisirs ou nos destinatio­ns de vacances.»

CHEMINS DE MÉMOIRE

L’autre pouvoir de ces canaux tient à la mémoire vivante qu’ils incarnent. Entouré de chaînes de montagnes, le Valais compte beaucoup de précipitat­ions et de neige en hiver et un déficient d’eau en été. Creuser des bisses dès le Moyen Age a permis d’acheminer vers les vallées cette eau qui subsiste sur les sommets pendant la saison sèche, pour abreuver le bétail et arroser les prés de fauche, les vignes ou les vergers. Même s’ils ont aujourd’hui un pouvoir touristiqu­e, 80% d’entre eux jouent encore un rôle pour l’agricultur­e. Sans s’en rendre compte, on emprunte donc des chemins qui sont plusieurs fois séculaires. Des tranchées creusées des mains des anciens. Quelques planches de mélèzes qui soutiennen­t ou orientent. Des ouvrages datant d’une époque où tout était façonné à la main, au ralenti, dans une hyperproxi­mité.

Se connecter à cette vie rustique d’antan, essayer de l’imaginer tout en marchant, apporte une dimension contemplat­ive à ces escapades. «Certains passages sont hallucinan­ts. N’importe quel visiteur qui débouche sur l’ouvrage de la paroi du bisse d’Ayent reste bouche bée. Ce passage des vestiges (boutsets) suspendus contre la paroi à Torrent-Croix, maintenant remplacé par un tunnel, a pris une valeur particuliè­re depuis qu’il figure sur le nouveau billet de 100 francs», précise le spécialist­e.

PENTE DOUCE

Le charme des bisses s’explique aussi par leur diversité. Les 280 parcours répertorié­s varient tant au niveau du patrimoine, des techniques représenté­es, que de l’environnem­ent. On trouve des bisses de haute montagne qui traversent des alpages, d’autres dans les forêts qui mènent aux champs ou aux vignobles. «Ils permettent d’aller dans des zones où l’on ne va pas autrement, comme les gorges de vallées profondes. Les chemins presque plats demandent peu d’effort et changent de paysage au fil de la marche. C’est très différent des randonnées classiques qui relient les sommets», observe Armand Dussex, ancien gardien de cabane et initiateur du Musée valaisan des bisses qui a publié plusieurs livres sur le sujet.

Dans son dernier ouvrage qui vient de paraître aux Editions Rossolis, Grandes Randonnées le long des bisses, il propose des treks de plusieurs jours inspirés de ceux, une vingtaine, qu’il a faits au Népal. «J’y vois plusieurs analogies. On découvre l’Himalaya le long de chemins ancestraux qui pénètrent dans les fonds de vallées pour aboutir à des villages. Ici, on marche sur les traces du travail des hommes, à flanc de coteau, sans croiser beaucoup de distractio­n. C’est très méditatif, assure-t-il. On a le temps de se laisser pénétrer par l’ambiance, la forêt. Il y a une dimension plus romantique que l’ascension de cols où c’est la performanc­e qui prime.» Ses itinéraire­s visent à suivre plusieurs bisses en une journée et à passer la nuit dans des auberges de village, loin des stations. A faire sur un week-end ou une semaine. Dans la fraîcheur des courants. Au pas de l’eau. En faisant la course aux pives pour garder la cadence.

«On a le temps de se laisser pénétrer par la forêt. Il y a une dimension romantique»

ARMAND DUSSEX, AUTEUR DE L’OUVRAGE «GRANDES RANDONNÉES LE LONG DES BISSES»

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? Bisse du Torrent Neuf, Savièse.
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Bisse du Torrent Neuf, Savièse.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland