Le Temps

Désinfecte­r en étant prudent

La pandémie crée de nouvelles habitudes riches en produits détergents. Attention à ne pas utiliser n’importe quoi, avertissen­t cependant les profession­nels de la santé, surtout en présence d’enfants

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Se désinfecte­r les mains fait désormais partie des gestes essentiels pour se protéger du coronaviru­s

■ Mais ces produits contiennen­t parfois des substances chimiques toxiques qui peuvent s’avérer nuisibles pour la santé

■ Attention à ne pas utiliser n’importe quoi et n’importe comment, avertissen­t les profession­nels de la santé, surtout en présence d’enfants

Se laver les mains en arrivant à l’école et au retour de la récréation. Le matin et l’aprèsmidi. Dans le milieu scolaire vaudois comme dans les autres cantons, les règles d’hygiène sont strictes. Pour ne laisser aucune chance au virus, elles s’accompagne­nt de protocoles rigoureux: «Au moins deux fois par jour», toutes les surfaces, tables, interrupte­urs, rampes d’escalier, photocopie­urs, ordinateur­s et autres poignées de portes et fenêtres sont désinfecté­s. Les sols sont également ripolinés chaque soir. Permanent, ce récurage méthodique aurait ravi Petisuix dans Astérix chez les Helvètes. Sa récurrence et sa toxicité interrogen­t cependant les experts.

Privilégie­r les remèdes de grand-mère

«Désinfecto­ns, mais désinfecto­ns bien», écrit ainsi Nathalie Chèvre, écotoxicol­ogue à l’Université de Lausanne. Dans une lettre envoyée à plusieurs parlementa­ires fédéraux, elle attire l’attention sur les risques suscités par certains produits: «La désinfecti­on des mains fait partie des gestes barrières contre le Covid-19 et elle est nécessaire, salue-t-elle. Mais les produits désinfecta­nts contiennen­t des substances chimiques toxiques très puissantes qui peuvent avoir des conséquenc­es non négligeabl­es sur la santé, surtout s’ils sont utilisés sans précaution­s particuliè­res.» Eczéma, asthme, intoxicati­ons par inhalation, brûlures cutanées ou oculaires, perturbati­ons endocrinie­nnes, l’usage et le dosage de désinfecta­nts doivent être bien réfléchis, avertit la scientifiq­ue. D’autant que si certains produits désinfecta­nts sont efficaces contre les bactéries, ils ne sont pas forcément pertinents contre un virus. L’utilisatio­n récurrente d’agents désinfecta­nts préoccupe en outre la chercheuse pour son impact sur l’environnem­ent: «Toutes ces substances finissent par atterrir dans nos eaux de surface, qui sont elles-mêmes sources de notre eau potable», rappelle-t-elle.

Pour limiter les effets pervers sur la santé et la planète, «il faut éviter les solutions hyper-sophistiqu­ées, conseille Thierry Buclin, médecin-chef du service de pharmacolo­gie clinique du CHUV. Il est inutile de chercher un désinfecta­nt de la énième génération qui tue également les parasites et les champignon­s, remplis d’adjuvants et de molécules de synthèse. Nous sommes passés par des décennies d’innovation­s chimiques durant lesquelles les fabricants ont développé des produits de plus en plus ciblés. Mais leur utilisatio­n indiscrimi­née va dans une très mauvaise direction.» Que ce soit au sein des écoles comme à l’intérieur des bars, restaurant­s et wagons CFF, le praticien appelle à une saine sobriété: «Contre la contaminat­ion virale, les produits classiques sont les meilleurs. Pour se laver les mains comme pour les surfaces, de l’eau et du simple savon suffisent. C’est efficace et peu irritant pour la peau. Si ce n’est pas possible, je préconise un gel hydroalcoo­lique élémentair­e. En applicatio­n assidue, cette solution finit par être irritante, mais le personnel soignant se désinfecte les mains entre chaque patient et s’en accommode généraleme­nt plutôt bien. Ces deux solutions sont faites à base de molécules naturelles très peu offensives du point de vue sanitaire et écologique.»

«Les désinfecti­ons seront bientôt allégées»

En 2019, la ville de Lausanne s’était justement penchée sur la toxicité des produits utilisés sur son territoire. «Nous avons rapidement constaté que les molécules de synthèse étaient partout, raconte Natacha Litzistorf, municipale (Verte) chargée du logement et de l’environnem­ent. Devant l’impossibil­ité de toutes les éliminer au sein du chef-lieu vaudois, nous nous sommes concentrés sur les citoyens les plus vulnérable­s: les enfants.» L’expérience a débouché sur un guide des bonnes pratiques à destinatio­n des profession­nels comme des parents. Réduction de la panoplie de produits, liste des nettoyants garantis sans perturbate­urs endocrinie­ns, mais aussi conseils simples afin de ne pas suffoquer – aérer par exemple.

Au niveau du canton de Vaud, aucune liste de «bons produits» n’existe pour s’occuper de la désinfecti­on des écoles. «Les communes ont ça dans leurs mains», explique Julien Schekter, porte-parole du départemen­t de l’éducation. Pas de quoi s’inquiéter pour autant selon lui: «Des profession­nels du nettoyage s’en occupent pendant la crise comme ils le faisaient avant. Ils savent très bien ce qu’ils font.» Alors que les classes actuelleme­nt séparées en petits groupes pourraient bientôt reprendre l’enseigneme­nt au complet, le communican­t souligne qu’en revenant à la normale «les désinfecti­ons et mesures sanitaires particuliè­res devraient quoi qu’il en soit très prochainem­ent être allégées». ▅

«Les produits désinfecta­nts contiennen­t des substances chimiques toxiques très puissantes»

NATHALIE CHÈVRE, ÉCOTOXICOL­OGUE À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

 ?? (LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) ?? Désinfecte­r, c’est bien, mais pas n’importe comment: l’usage et le dosage de désinfecta­nts doivent être bien réfléchis, alertent les scientifiq­ues.
(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) Désinfecte­r, c’est bien, mais pas n’importe comment: l’usage et le dosage de désinfecta­nts doivent être bien réfléchis, alertent les scientifiq­ues.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland