A Hongkong, la liberté d’expression sous tutelle
Le premier ministre, Li Keqiang, a profité de la grand-messe annuelle du Parti communiste pour souligner la nécessité d’assurer la stabilité sociale après la crise du coronavirus. Parallèlement, le régime a annoncé un renforcement de sa mainmise sur Hongk
Il y a ceux qui, en Chine, estimeront que Pékin s’est montré bien patient. Il y a ceux qui, à Hongkong, penseront que c’est la fin d’un monde. Et puis il y a le reste de la planète qui observe comment le pouvoir chinois interprète ou viole, selon le point de vue, ses engagements internationaux.
Depuis sa rétrocession à la Chine, en 1997, en vertu d’un accord avec la couronne britannique validé par l’ONU, l’ex-colonie est au bénéfice d’une Constitution qui lui assure une certaine autonomie au nom du principe inventé par Pékin «un pays, deux systèmes» pour cinquante ans. Depuis bientôt vingt-trois ans, ce principe a subi de nombreuses atteintes, mais, pour l’essentiel, il avait tenu bon. Il est en train de voler en éclats, au mépris des engagements passés.
La semaine prochaine, le parlement chinois, inféodé au parti unique, votera le projet d’une loi sur la sûreté nationale à Hongkong – l’article 23 depuis longtemps débattu – qui placera ses habitants sous le même régime d’allégeance à
Pékin que leurs concitoyens du continent, mettant ainsi leur liberté d’expression sous tutelle. Pour la première fois, le parlement de Hongkong sera ainsi court-circuité par celui de Pékin. Le mois dernier, c’était la représentation de Pékin à Hongkong, le Bureau de liaison, qui affirmait qu’il avait autorité pour s’immiscer dans les processus législatifs et décisionnels de la Région administrative spéciale. C’est contraire à la Constitution hongkongaise et son article 22. Coup sur coup, la Chine passe en force, alors que le monde a les yeux rivés sur la lutte contre le Covid-19.
Les défenseurs de Pékin, la cheffe de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, en tête, diront que le pouvoir chinois prend soin d’inscrire ces changements dans un cadre légal. C’est oublier qu’il s’agit là d’une légalité chinoise, c’est-à-dire tributaire de l’arbitraire du Parti communiste dont la charte le place au-dessus de la Constitution. Une réalité dont les Hongkongais sont parfaitement conscients. C’était d’ailleurs la raison de leur mobilisation massive et victorieuse, l’an dernier, contre un précédent projet de loi d’extradition débattu par le parlement hongkongais.
En fin d’année dernière, le camp démocrate remportait un succès inespéré lors d’élections locales à Hongkong. Les élections législatives, cet automne, étaient le nouvel horizon des Hongkongais pour réaffirmer leur autonomie. Face à cette contestation, Pékin fait le choix de verrouiller les institutions et de mettre à l’écart les démocrates dont 15 figures sont en cours de jugement. La Chine ne cherche plus à sauver les apparences. Les Hongkongais ont toutes les raisons de craindre d’être bientôt digérés dans un pays avec un seul système. Et le reste du monde serait bien inspiré d’en tirer quelques leçons.
Le reste du monde serait bien inspiré d’en tirer quelques leçons
L’image est saisissante: les 2897 membres de l’Assemblée nationale du peuple ont le visage barré par des masques. Devant eux, les plus hauts dirigeants du pays, les 25 membres du bureau politique du Parti communiste et les 15 membres du comité permanent de l’ANP, n’en portent pas. Les députés, qui se contentent une fois par an d’approuver toutes les propositions du gouvernement, apparaissent bâillonnés derrière les leaders: l’image reflète la stratégie adoptée par le Parti en ces temps de crise. Alors que la croissance chute et que le chômage explose, il s’agit de resserrer les rangs autour du leader et de resserrer le contrôle sur la Chine.
Après avoir célébré une «réussite stratégique majeure dans notre réponse au Covid-19», le premier ministre, Li Keqiang, a insisté à une dizaine de reprises sur la nécessité d’assurer la stabilité sociale. Pour y parvenir, il a souligné la «tâche immense» qu’il restait à accomplir pour sauver l’économie, qui s’est contractée de 6,8% au premier trimestre, premier épisode de croissance négative depuis 1976. Face à l’incertitude qui règne sur l’économie mondiale, le numéro 2 chinois s’est abstenu d’annoncer un objectif de croissance pour 2020, un fait exceptionnel. Selon le Fonds monétaire international, la croissance en Chine pourrait atteindre 1,2% cette année, contre officiellement 6,1% en 2019.
La menace du chômage
Première conséquence de la crise, le chômage représente une menace sans précédent pour les autorités, car le pays, habitué au plein-emploi, y est mal préparé. Li Keqiang a reconnu que «la pression sur l’emploi avait fortement augmenté». D’après le Ministère des ressources humaines, le taux de chômage était de 5,9% en mars, contre 5,2% en décembre 2019, soit seulement 26 millions de sans-emploi. Mais d’après des études indépendantes, le taux réel serait de 10% à 20%, soit jusqu’à 70 millions de chômeurs, si on prend en compte les travailleurs migrants qui rentrent dans leur province d’origine quand la conjoncture se tend, échappant ainsi aux statistiques officielles.
Le premier ministre a annoncé une série de mesures pour tenter de relancer l’économie, tout en admettant que la situation dépendait aussi de la reprise mondiale. Il a promis une augmentation des dépenses importantes, avec un déficit fiscal à 3,6% contre 2,8% en 2019. Li Keqiang a également annoncé l’émission d’un emprunt d’Etat de 128 milliards d’euros, auquel s’ajoute un vaste programme d’investissement de 481 milliards d’euros. Un plan destiné à relancer la consommation et à «accélérer la transformation du mode de développement économique», en misant sur les infrastructures et les technologies d’avenir, comme la 5G et les véhicules électriques.
Trop d’infrastructures
Dans les faits, les fonds publics risquent aussi de financer des constructions peu utiles de nouvelles routes et de nouvelles voies de chemin de fer, ainsi que des projets immobiliers, recours habituel pour relancer l’économie, explique Michael Pettis, professeur de finance à l’Université de Pékin. «En Chine, ils ont déjà de très bonnes infrastructures. En fait, ils ont trop d’infrastructures. Une solution serait de donner de l’argent directement aux gens pour qu’ils consomment. Cela a été fait localement avec des bons d’achat, mais à une échelle bien trop faible pour avoir un impact.» Problème: Pékin a pour l’instant confié cette tâche aux gouvernements locaux, déjà surendettés. La relance de l’économie dans une Chine qui ralentissait déjà s’annonce délicate.
Avant l’ouverture de l’Assemblée, jeudi soir, le porte-parole de l’institution a annoncé à la presse qu’un projet de loi sur la sécurité nationale pour Hongkong allait être présenté à l’Assemblée. La Chine n’a pas digéré les longues manifestations qui ont soulevé le territoire l’année dernière contre une loi d’extradition vers la Chine, puis, de manière de plus en plus large, contre l’érosion des libertés individuelles. Les élections locales qui s’étaient soldées à l’époque par une victoire massive du camp pro-démocratie avaient constitué un camouflet pour les autorités chinoises.
En agissant vite, la Chine profite à la fois de l’interdiction des rassemblements à Hongkong et de la stupeur de la communauté internationale toujours aux prises avec la pandémie de Covid-19 pour frapper avant les élections législatives de septembre à Hongkong. «Les crimes de trahison, de sédition, de sécession seront définis et ne s’appliqueront pas seulement à des actes mais à des paroles, explique Jean-Pierre Cabestan, sinologue et professeur de sciences politiques à l’Université Baptiste de Hongkong. Cela va encore accroître la pression sur l’opposition et le camp démocrate.»
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