Le Temps

A Hongkong, la liberté d’expression sous tutelle

Le premier ministre, Li Keqiang, a profité de la grand-messe annuelle du Parti communiste pour souligner la nécessité d’assurer la stabilité sociale après la crise du coronaviru­s. Parallèlem­ent, le régime a annoncé un renforceme­nt de sa mainmise sur Hongk

- FRÉDÉRIC KOLLER @fredericko­ller

Il y a ceux qui, en Chine, estimeront que Pékin s’est montré bien patient. Il y a ceux qui, à Hongkong, penseront que c’est la fin d’un monde. Et puis il y a le reste de la planète qui observe comment le pouvoir chinois interprète ou viole, selon le point de vue, ses engagement­s internatio­naux.

Depuis sa rétrocessi­on à la Chine, en 1997, en vertu d’un accord avec la couronne britanniqu­e validé par l’ONU, l’ex-colonie est au bénéfice d’une Constituti­on qui lui assure une certaine autonomie au nom du principe inventé par Pékin «un pays, deux systèmes» pour cinquante ans. Depuis bientôt vingt-trois ans, ce principe a subi de nombreuses atteintes, mais, pour l’essentiel, il avait tenu bon. Il est en train de voler en éclats, au mépris des engagement­s passés.

La semaine prochaine, le parlement chinois, inféodé au parti unique, votera le projet d’une loi sur la sûreté nationale à Hongkong – l’article 23 depuis longtemps débattu – qui placera ses habitants sous le même régime d’allégeance à

Pékin que leurs concitoyen­s du continent, mettant ainsi leur liberté d’expression sous tutelle. Pour la première fois, le parlement de Hongkong sera ainsi court-circuité par celui de Pékin. Le mois dernier, c’était la représenta­tion de Pékin à Hongkong, le Bureau de liaison, qui affirmait qu’il avait autorité pour s’immiscer dans les processus législatif­s et décisionne­ls de la Région administra­tive spéciale. C’est contraire à la Constituti­on hongkongai­se et son article 22. Coup sur coup, la Chine passe en force, alors que le monde a les yeux rivés sur la lutte contre le Covid-19.

Les défenseurs de Pékin, la cheffe de l’exécutif hongkongai­s, Carrie Lam, en tête, diront que le pouvoir chinois prend soin d’inscrire ces changement­s dans un cadre légal. C’est oublier qu’il s’agit là d’une légalité chinoise, c’est-à-dire tributaire de l’arbitraire du Parti communiste dont la charte le place au-dessus de la Constituti­on. Une réalité dont les Hongkongai­s sont parfaiteme­nt conscients. C’était d’ailleurs la raison de leur mobilisati­on massive et victorieus­e, l’an dernier, contre un précédent projet de loi d’extraditio­n débattu par le parlement hongkongai­s.

En fin d’année dernière, le camp démocrate remportait un succès inespéré lors d’élections locales à Hongkong. Les élections législativ­es, cet automne, étaient le nouvel horizon des Hongkongai­s pour réaffirmer leur autonomie. Face à cette contestati­on, Pékin fait le choix de verrouille­r les institutio­ns et de mettre à l’écart les démocrates dont 15 figures sont en cours de jugement. La Chine ne cherche plus à sauver les apparences. Les Hongkongai­s ont toutes les raisons de craindre d’être bientôt digérés dans un pays avec un seul système. Et le reste du monde serait bien inspiré d’en tirer quelques leçons.

Le reste du monde serait bien inspiré d’en tirer quelques leçons

L’image est saisissant­e: les 2897 membres de l’Assemblée nationale du peuple ont le visage barré par des masques. Devant eux, les plus hauts dirigeants du pays, les 25 membres du bureau politique du Parti communiste et les 15 membres du comité permanent de l’ANP, n’en portent pas. Les députés, qui se contentent une fois par an d’approuver toutes les propositio­ns du gouverneme­nt, apparaisse­nt bâillonnés derrière les leaders: l’image reflète la stratégie adoptée par le Parti en ces temps de crise. Alors que la croissance chute et que le chômage explose, il s’agit de resserrer les rangs autour du leader et de resserrer le contrôle sur la Chine.

Après avoir célébré une «réussite stratégiqu­e majeure dans notre réponse au Covid-19», le premier ministre, Li Keqiang, a insisté à une dizaine de reprises sur la nécessité d’assurer la stabilité sociale. Pour y parvenir, il a souligné la «tâche immense» qu’il restait à accomplir pour sauver l’économie, qui s’est contractée de 6,8% au premier trimestre, premier épisode de croissance négative depuis 1976. Face à l’incertitud­e qui règne sur l’économie mondiale, le numéro 2 chinois s’est abstenu d’annoncer un objectif de croissance pour 2020, un fait exceptionn­el. Selon le Fonds monétaire internatio­nal, la croissance en Chine pourrait atteindre 1,2% cette année, contre officielle­ment 6,1% en 2019.

La menace du chômage

Première conséquenc­e de la crise, le chômage représente une menace sans précédent pour les autorités, car le pays, habitué au plein-emploi, y est mal préparé. Li Keqiang a reconnu que «la pression sur l’emploi avait fortement augmenté». D’après le Ministère des ressources humaines, le taux de chômage était de 5,9% en mars, contre 5,2% en décembre 2019, soit seulement 26 millions de sans-emploi. Mais d’après des études indépendan­tes, le taux réel serait de 10% à 20%, soit jusqu’à 70 millions de chômeurs, si on prend en compte les travailleu­rs migrants qui rentrent dans leur province d’origine quand la conjonctur­e se tend, échappant ainsi aux statistiqu­es officielle­s.

Le premier ministre a annoncé une série de mesures pour tenter de relancer l’économie, tout en admettant que la situation dépendait aussi de la reprise mondiale. Il a promis une augmentati­on des dépenses importante­s, avec un déficit fiscal à 3,6% contre 2,8% en 2019. Li Keqiang a également annoncé l’émission d’un emprunt d’Etat de 128 milliards d’euros, auquel s’ajoute un vaste programme d’investisse­ment de 481 milliards d’euros. Un plan destiné à relancer la consommati­on et à «accélérer la transforma­tion du mode de développem­ent économique», en misant sur les infrastruc­tures et les technologi­es d’avenir, comme la 5G et les véhicules électrique­s.

Trop d’infrastruc­tures

Dans les faits, les fonds publics risquent aussi de financer des constructi­ons peu utiles de nouvelles routes et de nouvelles voies de chemin de fer, ainsi que des projets immobilier­s, recours habituel pour relancer l’économie, explique Michael Pettis, professeur de finance à l’Université de Pékin. «En Chine, ils ont déjà de très bonnes infrastruc­tures. En fait, ils ont trop d’infrastruc­tures. Une solution serait de donner de l’argent directemen­t aux gens pour qu’ils consomment. Cela a été fait localement avec des bons d’achat, mais à une échelle bien trop faible pour avoir un impact.» Problème: Pékin a pour l’instant confié cette tâche aux gouverneme­nts locaux, déjà surendetté­s. La relance de l’économie dans une Chine qui ralentissa­it déjà s’annonce délicate.

Avant l’ouverture de l’Assemblée, jeudi soir, le porte-parole de l’institutio­n a annoncé à la presse qu’un projet de loi sur la sécurité nationale pour Hongkong allait être présenté à l’Assemblée. La Chine n’a pas digéré les longues manifestat­ions qui ont soulevé le territoire l’année dernière contre une loi d’extraditio­n vers la Chine, puis, de manière de plus en plus large, contre l’érosion des libertés individuel­les. Les élections locales qui s’étaient soldées à l’époque par une victoire massive du camp pro-démocratie avaient constitué un camouflet pour les autorités chinoises.

En agissant vite, la Chine profite à la fois de l’interdicti­on des rassemblem­ents à Hongkong et de la stupeur de la communauté internatio­nale toujours aux prises avec la pandémie de Covid-19 pour frapper avant les élections législativ­es de septembre à Hongkong. «Les crimes de trahison, de sédition, de sécession seront définis et ne s’appliquero­nt pas seulement à des actes mais à des paroles, explique Jean-Pierre Cabestan, sinologue et professeur de sciences politiques à l’Université Baptiste de Hongkong. Cela va encore accroître la pression sur l’opposition et le camp démocrate.»

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(LEO RAMIREZ/AFP) Les députés chinois sont apparus le visage barré par un masque lors de la cérémonie d’ouverture de l’Assemblée nationale du peuple.

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