Pékin passe en force à Hongkong
Le gouvernement chinois entend imposer au territoire semi-autonome l’application d’une loi relative à la sécurité nationale, au grand dam de l’opposition persuadée que les spécificités locales vont disparaître
Le camp pro-démocratie est abasourdi. Jamais il n’aurait imaginé Pékin passer en force sur un sujet aussi sensible. «En contournant le parlement local, Pékin envoie un message clair», selon la députée Claudia Mo: le principe «un pays, deux systèmes» censé conférer un haut degré d’autonomie à l’ex-colonie britannique est mort. «Désormais c’est un pays, et le régime central assume les pleines juridictions» au mépris de l’accord sino-britannique scellé avant la rétrocession.
A l’époque, une mini-constitution avait été élaborée afin que Hongkong conserve son système économique, judiciaire et légal une fois retourné dans le giron chinois en 1997. Un article avait été introduit à l’initiative des dirigeants chinois, obnubilés par la possibilité que Hongkong devienne une plateforme subversive. L’article 23 interdit la «trahison», «la sécession», «la subversion à l’encontre du gouvernement central», «le vol des secrets d’Etat» ainsi que «les relations des groupes locaux et des partis ou organisations étrangères». Quand en 2003 les autorités locales ont tenté de le faire entrer en vigueur, 500000 personnes sont descendues dans la rue.
Lassé de l’inaptitude du gouvernement local à gérer la contestation, Pékin vient de reprendre officiellement la barre. Le parlement chinois a annoncé jeudi qu’il étudierait, durant sa session annuelle, un texte de loi sur la «protection de la sécurité nationale» à Hongkong. Voté, le texte pourra être promulgué dans l’annexe III de la loi fondamentale hongkongaise sans être validé par le parlement local.
«Ils pourront affubler n’importe qui de n’importe quel crime»
Cette manoeuvre inattendue a fait trembler la bourse de Hongkong, et les assurances de l’ancien chef de l’exécutif CY Leung selon lesquelles l’économie ne serait pas affectée n’y ont rien fait. «Ils pourront affubler n’importe qui de n’importe quel crime au moindre mot, et condamner pour collusion ceux qui sont allés à Washington chercher des soutiens politiques ou ceux qui parlent aux journalistes étrangers», accuse Claudia Mo.
Le texte inquiète aussi pour le «vague» des notions en jeu. «Nous n’avons pour l’instant que le concept du texte, mais les signaux sont très inquiétants», commente Wilson Leung, porte-parole du Groupe des avocats progressistes. «Nous avons vu des concepts similaires utilisés pour écraser le moindre plaidoyer démocratique en Chine et arrêter les dissidents et avocats des droits de l’homme.» Selon lui, Pékin s’apprête à faire de même à Hongkong et à «prendre le contrôle absolu au risque de détruire le statut de ce centre international» où chambres de commerce, entreprises et ONG étrangères sont présentes par centaines.
Wilson Leung est de ceux qui sont persuadés que le texte concocté par Pékin supplantera la législation locale. Philip Dykes, président du Barreau, est plus nuancé. «Le texte devrait en théorie être adapté par la législation locale s’il affecte les droits des citoyens, et il devrait être compatible avec la loi fondamentale» qui garantit les libertés de la presse, d’expression et de manifester. Mais rien n’est moins sûr.
Au-delà du fond, la forme interpelle également. Pékin n’a pas le droit de promulguer de texte sur la sécurité nationale puisque les autorités locales sont compétentes en la matière. Et puis, «ils vont adopter un texte en consultant pendant deux semaines seulement les instances locales, ce n’est pas suffisant», relève Philip Dykes. Autre inquiétude selon le président du Barreau: Pékin pourrait installer des représentants sur le territoire hongkongais pour appliquer ce texte, une décision «très étrange» et en contradiction avec le principe selon lequel les représentants de Pékin basés à Hongkong ne peuvent interférer dans les affaires locales.
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