La Cisjordanie préoccupe les diplomates
A l’initiative notamment de la Russie, une partie de la communauté internationale veut intervenir dans le dossier israélo-palestinien. La démarche exclurait pour l’instant les principaux intéressés
Israël mettra-t-il ses menaces à exécution en annexant cet été un bon tiers de la Cisjordanie palestinienne? C’est la promesse qui a été faite par le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou tout juste reconduit à la tête d’un gouvernement. Ce serait aussi, sans doute, un coup de pouce bienvenu pour le président américain Donald Trump, qui promet depuis trois ans «le plan du siècle» sur le Proche-Orient.
Eviter toute exposition inutile en pleine lumière
Les élections américaines de novembre sont désormais au coin de la rue, le président gère mal la pandémie du Covid-19, et il n’aurait sans doute pas de trop de cette «victoire» pour ressouder autour de lui sa base électorale évangélique chrétienne, fortement favorable à Israël. Pourtant, rien n’est joué. Des informations recueillies par Le Temps confirment que, à l’initiative notamment de la Russie, une sorte de «front du refus» international pourrait se créer face à ce coup de force israélien. La communauté internationale tente de reprendre la main, et cette riposte multilatérale pourrait passer par Genève.
Les autorités russes font mine de s’étrangler devant cette perspective. Un sommet sur le Proche-Orient, organisé par Moscou, qui réunirait, aux côtés de la Russie, les Etats-Unis, l’Union européenne, l’ONU ainsi qu’une série de pays arabes? «C’est un complet non-sens», s’insurgeait jeudi le numéro deux de la diplomatie russe Mikhaïl Bogdanov. Face aux «rumeurs» de certains médias, dont le site d’information américain Axios, ce vétéran du dossier en rajoutait dans l’indignation. «C’est ridicule, c’est du délire, c’est de la fantasmagorie», insistait-il.
Par le passé, le président Vladimir Poutine avait déjà tenté au moins à deux occasions de devenir le parrain de discussions directes entre les Palestiniens et les Israéliens. Les invitations avaient été lancées mais, à chaque fois, la tentative avait avorté in extremis devant le blocage d’un même homme: Benyamin Netanyahou. Tout se passe aujourd’hui comme si Moscou – qui a eu des mots très durs contre une possible annexion des territoires palestiniens – voulait éviter toute exposition inutile en pleine lumière.
Plusieurs sources confirment toutefois le rôle central qu’essaie de jouer à nouveau la Russie. Au-delà de la volonté de projection internationale dans la région, cet activisme répond à une raison bien simple: «A part Moscou, qui s’y collerait?» répond un interlocuteur amusé. L’Union européenne? Bien que les grands Etats de l’Ouest, France en tête, rivalisent de déclarations et de menaces voilées, l’UE reste divisée sur le dossier, et la pandémie du Covid-19 n’a rien fait pour accroître son agilité diplomatique hors de ses frontières. L’ONU? Elle reste le «gardien du temple» en termes de droit international et, alors que cette annexion éventuelle serait clairement illégale, les Nations unies n’ont aucune marge possible d’interprétation. Quant aux Etats-Unis, ils sont, contre toute attente, «beaucoup plus proches de la Russie sur cette question qu’on ne pourrait le penser», note une source. Même si, officiellement, l’administration américaine s’en tient au seul «plan Trump», concocté par le gendre du président, Jared Kushner, et dévoilé à la Maison-Blanche en janvier dernier.
Pour la première fois depuis longtemps
Les membres du «quartet» pour le Moyen-Orient (Russie, EtatsUnis, UE et ONU) se sont entretenus vendredi par vidéoconférence pour la première fois depuis longtemps. La veille, selon des informations de la presse palestinienne, c’était le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui annonçait au chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, que les choses pouvaient être en train de bouger. «Les Palestiniens plaident depuis longtemps pour une approche multilatérale, rappelle un interlocuteur. Mais ils craignent aussi d’être emprisonnés dans les termes définis par le «plan Trump», ce qui explique leur méfiance.»
Le «plan Trump», précisément, est dans toutes les têtes. S’il prévoit effectivement l’annexion de larges portions de la Cisjordanie, il s’accompagne aussi, sur les miettes restantes, de la proclamation d’un Etat de Palestine. Une perspective insupportable pour Benyamin Netanyahou et pour les nombreux faucons d’extrême droite dont il s’est entouré. L’ancien rival Benny Gantz, devenu ministre de la Défense et premier ministre «alternatif», est lui aussi favorable à l’annexion, mais à condition qu’elle soit endossée par une partie de la communauté internationale.
«Les conditions pourraient être bientôt réunies pour organiser des réunions préparatoires mêlant tous les intéressés, afin qu’ils tentent de faire sortir cette question de l’impasse.» Mikhaïl Bogdanov, le négociateur russe, a raison: nul ne songe encore à une conférence internationale à proprement parler et, a priori, aussi bien les Israéliens que les Palestiniens seraient exclus de l’exercice. Mais Genève tient la ligne pour ces éventuelles rencontres.
«La Suisse est toujours prête, si les parties le souhaitent, à offrir ses bons offices», se contente d’indiquer le Département fédéral des affaires étrangères. Un DFAE qui rappelle également qu’une annexion de la Cisjordanie par Israël «compromettrait la viabilité d’une solution à deux Etats conformément au droit international, aux résolutions des Nations unies et aux paramètres convenus au niveau international».
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Une sorte de «front du refus» international pourrait se créer face au coup de force israélien
Nul ne songe encore à une conférence internationale à proprement parler