Les échanges linguistiques forcés de se réinventer
Plus de la moitié des étudiants suisses ont dû interrompre leur formation à l’étranger. Alors que la reprise physique de ces séjours s’annonce incertaine, le parlement débattra en juin de la possible réassociation de la Suisse au programme européen Erasmus
Les échanges linguistiques sont l’occasion non seulement d’améliorer sa maîtrise d’une langue étrangère, mais également «de découvrir une autre culture, de sortir de sa zone de confort, de gagner en indépendance et de savoir faire preuve d’adaptabilité. Des compétences nécessaires dans le monde du travail aujourd’hui», soutient Olivier Tschopp, directeur de Movetia. Cette agence nationale pour la promotion des échanges et de la mobilité au sein du système éducatif recevait avec enthousiasme les résultats des appels à projets 2019 quand la crise du nouveau coronavirus s’est amplifiée. Avec 26262 mobilités soutenues, elle observait une croissance de 16% des projets financés par rapport à l’exercice précédent. Désormais, «l’ensemble des projets sont gelés, les départs sont annulés et 55% des étudiants sont rentrés en Suisse», constate-t-il.
Poursuivre l’expérience à la campagne
Sara Mayenfisch, étudiante à l’Université de Lausanne qui effectuait une année d’échange à l’University College Dublin dans le cadre de son master en sociologie, est dans ce cas de figure. Quand son école a annoncé le 12 mars que les cours se poursuivraient en visioconférences, elle était en vacances à Strasbourg. «Bien que l’idée de rentrer en Irlande me tentât, les loyers sur place sont chers, raconte-t-elle. J’ai rendu mon appartement à distance et je suis maintenant dans une situation inconfortable, car toutes mes affaires sont toujours en Irlande.»
Autre difficulté: son mémoire porte sur la question de l’identité irlandaise. «Je n’ai plus accès à la bibliothèque de l’université et je ne pourrai pas mener les enquêtes prévues dans les lieux publics de la capitale.» Elle espère pouvoir y retourner avant de rendre son mémoire. L’étudiante recommande chaudement cette expérience. «Etudier son domaine du point de vue d’une autre culture, c’est en apprendre plus sur celle-ci, mais aussi remarquer les rouages de la nôtre.»
L’agence Movetia existe depuis trois ans et observe l’intérêt grandissant que suscitent les échanges linguistiques auprès des jeunes. «Il serait regrettable de freiner cette tendance», estime Olivier Tschopp. Pour l’encourager dans ces conditions extraordinaires liées au Covid-19, son agence et des associations étudiantes ont par exemple lancé une campagne de mobilité nationale qui encourage les jeunes à s’investir dans l’agriculture. «Ce secteur manque de bras et nous sommes dans un pays multiculturel, rappelle-t-il. Ils peuvent ainsi combiner la découverte d’une région et d’une langue avec un acte de solidarité.»
Mais ce que le directeur attend avec impatience, ce sont les négociations concernant la réassociation de la Suisse au programme Erasmus. «Ce sujet sera débattu au parlement cette année, poursuit-il. Nous saurons alors si nous restons sur une solution suisse qui marche bien pour la mobilité, mais qui fonctionne mal pour les coopérations et les partenariats entre universités ou autres institutions de formation.» Une situation qu’il qualifie de «frustrante», car si la Suisse bénéficie d’une bonne image à l’international, elle est mise à l’écart des réseaux et des centres de compétences en train de se consolider en Europe et donc des transferts d’innovation et des échanges de bonnes pratiques. «La Suisse a recensé à peine 50 projets jusqu’en 2019, pointe-t-il. C’est très peu vu notre potentiel, surtout si on se compare à l’Autriche qui en a enregistré près de 300 rien qu’en 2019.»
Néanmoins, Olivier Tschopp reste optimiste sur le devenir des échanges linguistiques et espère une reprise des projets dès le deuxième semestre. «Au niveau européen, les étudiants pourront commencer leur séjour de manière virtuelle et le finiront ensuite physiquement, déclare-t-il. La crise a accéléré des tendances que nous avions observées auparavant et qui devront être prises en compte.» A savoir, le recours au numérique pour partager ses connaissances, des déplacements plus écologiques et des séjours plus courts orientés sur un projet spécifique. Et d’ajouter: «J’ai la conviction que la capacité de créativité et de résilience se développe à travers cette crise.» ▅