TikTok vaut bien une guerre froide
C’est un succès «made in China» qui souligne au marqueur rouge combien le monde est en train de changer. L’application TikTok connaît un fort retentissement accéléré par la pandémie qui a contraint le monde entier au confinement. Ados et jeunes adultes se sont précipités sur l’app chinoise pour regarder les vidéos de nouvelles icônes qui s’illustrent à travers des clips susceptibles de devenir des «mèmes», ces images qui se partagent à l’infini sur les réseaux.
La maison mère de TikTok, ByteDance, a été fondée par un ancien de Microsoft, fou de code. Son secret, un algorithme très bien fichu capable de fouiller au tréfonds du réseau la vidéo qui va emporter l’adhésion. Devenir du jour au lendemain un influenceur adulé par des millions de followers s’avère irrésistible. Le cinéma ne le permet plus depuis longtemps et les séries TV ont besoin d’installer une audience avant de fabriquer une étoile.
Avec TikTok, tout cela se fait en un claquement de doigts grâce au redoutable fil «pour toi» qui met l’utilisateur en contact avec des vedettes potentielles et assure rapidement un très grand nombre de vues. La jeune Brittany a ainsi réalisé une vidéo rigolote en buvant une boisson au kombucha. Son succès fut tel qu’entre son job ennuyeux dans une banque et la célébrité qui lui tendait les bras, la jeune femme n’a pas hésité longtemps. Comme la jeune Charli d’Amelio, 16 ans, devenue la danseuse la plus populaire du monde avec… 55 millions de followers.
Le succès, c’est le coeur du rêve américain. Le pays a bâti une grande partie de son aura sur ce mythe fondateur et le narratif qui l’accompagne. Sa capitale est Los Angeles, l’usine à rêves, qui a vécu un tremblement de terre symbolique cette semaine. TikTok a engagé Kevin Mayer, un des patrons de Disney, pour devenir son dirigeant mondial. Un énorme coup car ce dernier a racheté ces dernières années les plus grands studios, de Pixar à Lucasfilm en passant par Marvel et 21st Century Fox.
A Los Angeles, plus que jamais l’épicentre du divertissement, l’industrie a déjà pivoté pour profiter du phénomène. Dans des «collab house», des TikTokers se confinent ensemble et produisent des vidéos. Ils bénéficient ainsi de la pollinisation croisée de leurs réseaux. Les cabinets d’avocats, comme les agences qui gèrent les acteurs, ne font plus recette avec le septième art mais avec ces influenceurs qu’il faut capter très vite avant que le charme d’un déhanché, d’une grimace ou d’un tuto ne fasse plus d’effet. Les contrats de sponsoring atteignent des millions, la rémunération dépendant du nombre de vues, et les potentiels partenariats autour de produits dérivés paraissent infinis.
Les Etats-Unis ont décidé de ne pas rester inactifs. Si Washington laisse les géants de la Silicon Valley moissonner les données de milliards de personnes, pas question de laisser faire les Chinois. Les mesures de rétorsion contre Huawei pourraient s’étendre à TikTok dans un contexte d’affrontement avec Pékin, accusé d’avoir laissé se propager le Covid-19. Les Américains l’ont bien compris: si le modèle prédominant de millions de jeunes passe par un média chinois, la face du monde pourrait en être changée.
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