Booking plie mais ne rompra pas
La pandémie et ses millions d’annulations de voyages font vaciller Booking. Mais sa domination est telle que la concurrence ne devrait pas faire chanceler la plateforme de réservation
Presque irréprochable. Les touristes ont salué la vitesse de réaction de la plateforme Booking lors de la propagation du coronavirus. Sans sourciller, le numéro un mondial de la réservation d’hébergement en ligne a accepté les demandes d’annulation. De quoi réjouir ses nombreux clients: en 2019, le site a généré 845 millions de nuitées dans le monde.
Les hôteliers, eux, ont moins apprécié. Mi-avril, l’organisation française Logis Hôtels, qui rassemble 17000 établissements indépendants, dénonçait dans un communiqué des pratiques jugées indécentes de la part des agences de réservation en ligne (OTA). En cause: des changements de conditions de vente à court terme et des remboursements forcés.
«Le bon moment pour entrer sur le marché»
«Si quelqu’un veut entrer dans le marché, ce serait le bon moment pour arriver.» Professeur de stratégie de management à l’Ecole hôtelière de Lausanne, Achim Schmitt résume le climat actuel. Alors que la pandémie de Covid-19 fragilise Booking et ses concurrentes Expedia et Airbnb, l’occasion semble idéale pour se débarrasser d’intermédiaires considérés comme de faux amis.
Le 14 mai, le gouvernement français a franchi le pas, en annonçant sa volonté de lancer une plateforme nationale de réservation. En Suisse, le site Discover. swiss, de la même veine, devait être opérationnel en janvier, mais annonce désormais une arrivée cet été.
Ces initiatives vont toutefois avoir fort à faire pour déboulonner les voyagistes des temps modernes, tant leur domination reste insolente. A commencer par celle de Booking, le géant du secteur, même si Expedia lui tient la dragée haute sur le marché américain.
Pas moins de 85%. La chute de réservations annoncée en avril par le site est logiquement vertigineuse. L’impact des mesures de confinement s’est déjà fait bien ressentir au premier trimestre, période durant laquelle sa société mère Booking Holdings, basée dans le Connecticut, a enregistré une perte de 699 millions de dollars. Voilà qui tranche avec le bénéfice de 4,87 milliards enregistré l’année dernière.
Vingt-quatre ans après sa naissance à Amsterdam, le navire se portait donc plutôt bien avant le début de la pandémie. «Elle a déclenché une crise de liquidités, plus qu’une crise de modèle», constate Miriam Scaglione.
Et en matière de liquidités, la société est bien armée. Elle campe même sur une montagne de cash, estimée à 8,5 milliards de dollars par des analystes. Comme le relève Achim Schmitt, le seul risque qu’elle pourrait courir à long terme, c’est un surendettement puisque près de la moitié de ce montant provient d’un crédit de 4 milliards obtenu en avril.
Les données alarmistes qui se multiplient sont donc trompeuses: «Booking a déjà la marque. Ils ont la taille critique. C’est une affaire qui roule, analyse Miriam Scaglione, car ce qui est déterminant aujourd’hui, c’est la notoriété et la taille du catalogue.»
Deux critères que les initiatives suisses et françaises vont avoir bien du mal à contrer. La seule manière de rivaliser serait de couper tout lien avec la plateforme, ce qui paraît difficile dans un contexte de reprise incertain. «Ni les hôteliers, ni les plateformes ne peuvent vivre l’un sans l’autre», remarque Achim Schmitt. Faire cavalier seul coûte très cher en frais de marketing, rappellent les deux experts.
Google en embuscade
«La seule chance de contourner certaines ces agences de réservation en ligne serait que quelqu’un arrive avec un standard qui améliore le standard d’avant», conclut Achim Schmitt. Alors que les modèles d’affaires d’Airbnb et de Booking semblent converger, cette prouesse pourrait être le fait d’un autre acteur tapi dans l’ombre, à savoir Google.
La firme californienne a multiplié les investissements dans le secteur avant la crise. Et avec plus de 100 milliards de dollars en caisse, les liquidités, elle connaît.