La crise peut être une opportunité pour le football
Il faudra du temps avant que des dizaines de milliers de spectateurs soient autorisés à se rendre dans les stades. Ceux de l’après-pandémie ne seront plus les mêmes, probablement réduits de 10 à 15% de leur capacité, selon l’architecte des stades Mark Fenwick, interrogé par le magazine Urban Fusions. A moyen terme, il est probable que certains spectateurs voudront vivre le spectacle comme ils en avaient l’habitude, sans précautions particulières, que d’autres continueront à respecter la distance spatiale et les gestes de sécurité, et que d’autres enfin n’iront plus au stade.
Les conséquences seront d’abord financières: la sécurité exige des restructurations qui se paient et ces coûts se répercuteront sur les prix des billets. Cela s’est déjà produit dans les années 1990 en Angleterre après le drame de Hillsborough, et plus globalement en réaction au phénomène des hooligans. Les clubs anglais durent équiper leur stade de places assises uniquement (avec moins de spectateurs), aménager les guichets d’entrée, démonter les grillages et engager des stadiers pour surveiller les fans. Surtout, on augmenta les prix d’entrée à l’unité tout en proposant des abonnements familles et la location de loges dans les tribunes. Ce public plus ciblé, moins «prolétaire», a certainement été une des raisons de la diminution du phénomène de la violence à l’intérieur des stades (celle à l’extérieur des stades est un autre problème, malheureusement pas encore résolu, y compris en Suisse).
Gérer l’épidémie sera sans doute plus complexe mais cela offre d’autres opportunités. Le football après le Covid-19 sera peut-être aussi celui du retour à une économie réelle, comme le préconise l’entraîneur Christian Gourcuff (Le Monde du 13 avril 2020), et également celui d’une plus grande influence des associations de joueurs dans les prises de décisions. A voir sur la durée, mais les prémisses existent et les promesses aussi d’une nouvelle génération de joueurs millennials (nés après 1995) qui aspire à plus d’indépendance et milite pour un monde sportif plus éco-compatible, sur le plan des attentions non seulement climatiques et environnementales, mais aussi et surtout sociétales. Sera-t-elle capable de remettre en question plusieurs aspects du football professionnel, les agents, les dirigeants, les formules des championnats, les compétitions, les calendriers et surtout les disparités de salaires? Peut-être…
Il revient aux associations de joueurs de promouvoir ce désir de changement en profitant des manifestations pour le climat et pour une nouvelle société, en créant une «vague verte» rafraîchissante dans le football pour un spectacle sportif simple, authentique, réel. Ce seront eux, les nouveaux bâtisseurs d’un football aux économies plus raisonnables, les nouveaux dirigeants soucieux d’un sport plus authentique qui mette en valeur les qualités du footballeur-homme (ou femme): l’intelligence et la dextérité, l’anticipation et la prudence, la générosité et le sacrifice.
Un moment passionnant
C’est un moment passionnant: on voit déjà poindre les divergences de l’après-pandémie, avec deux forces contraires. D’une part, les instances officielles du football qui désirent revenir au plus vite au statu quo (en particulier les grands clubs et l’UEFA) et reprendre le business as usual qui a aussi fait la popularité planétaire de ce sport; d’autre part, les voix, encore minoritaires me semble-t-il, de dirigeants et d’acteurs de la gouvernance du football désireux de proposer les changements qui s’imposent: réduire les compétitions, baisser les salaires des plus nantis et augmenter celui des joueurs sans grade mais indispensables au spectacle. Ce qui permettra de définir de nouvelles règles pour un sport plus participatif, solidaire et exemplaire.
En fait, cette crise sanitaire rend un service inattendu au football: elle lui fournit la possibilité d’une nouvelle définition des paramètres de gouvernance et de compétition. D’autres sports réfléchissent d’ailleurs à réformer leurs structures et leurs compétitions. Ce mouvement a certainement plus de chances d’aboutir maintenant qu’avant la pandémie. Profitons-en. Nous ne savons pas comment cela finira. Les plus forts aujourd’hui, réticents à tout changement en profondeur, auront-ils le dernier mot ou les nouvelles dynamiques favorisées par la crise planétaire auront-elles une chance de gouverner différemment le football? Quoi qu’il en soit, le sport, activité humaine par excellence, peut faire passer le message d’un monde qui replace toute activité au service du bonheur de l’humain. Ce souci a guidé toute l’action de Kofi Annan, qui disait: «J’ai essayé de placer l’être humain au centre de tout ce que nous entreprenons: de la prévention des conflits au développement et aux droits de l’homme.»
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