La Chine à marche forcée vers un vaccin
Le pays d’où est partie l’épidémie de Covid-19 mise sur une découverte qui lui permettrait à la fois de protéger sa population et de redorer son blason sur le plan international
Wang Li (le nom a été changé) se sent bien: elle ne risque plus d’attraper le Covid-19. Il y a deux mois, alors que l’épidémie n’était toujours pas maîtrisée à Wuhan, elle a fait partie des premiers patients au monde à recevoir un vaccin expérimental. Comme elle, 108 personnes ont participé à la phase 1 d’un programme de test d’un vaccin développé par des scientifiques de l’armée chinoise, en collaboration avec l’entreprise CanSino Biologics. Au total, 105 de ces cobayes humains ont développé
Le président Xi Jinping a promis de faire d’un éventuel vaccin chinois un «bien commun de l’humanité»
des anticorps deux semaines après l’injection, sans effets secondaires graves, d’après un article publié dans la revue médicale The Lancet le vendredi 22 mai. Un premier succès pour la recherche chinoise. Le vaccin est déjà en deuxième phase de test sur une population plus importante.
D’après le Ministère chinois de la santé, au moins cinq projets de vaccin sont en phase de test sur des humains dans le pays, et 2575 patients ont reçu un vaccin «sans effets secondaires majeurs», a indiqué le directeur adjoint de la Commission nationale pour la santé Zeng Yixin le 15 mai. «Si tout se passe comme prévu, ces projets devraient terminer la deuxième phase de tests cliniques en juillet cette année», précisait-il. Un rythme qui met la Chine en tête de la course mondiale au vaccin, au coude-à-coude avec les Etats-Unis.
Une course à la fois sanitaire et géopolitique: le premier Etat à disposer d’un vaccin pourra à la fois protéger sa population et utiliser le vaccin comme un nouvel outil diplomatique après la «diplomatie du masque». Alors que l’Organisation mondiale de la santé a fait passer le 18 mai une résolution appelant à garantir une «distribution équitable» du vaccin, les Etats-Unis s’en sont dissociés, arguant que le texte risquait d’étouffer l’innovation et «d’envoyer le mauvais message aux innovateurs». Au contraire, le président chinois Xi Jinping a promis de faire d’un éventuel vaccin chinois un «bien commun de l’humanité».
La coopération n’est plus de mise
Pourtant, derrière ce voeu pieux, la coopération n’est plus de mise pour les chercheurs chinois. «Au départ, la Chine partageait l’information sur le virus. Mais quand les Etats-Unis ont commencé à politiser la crise, en parlant de «virus chinois» ou de «virus de Wuhan», la Chine a refusé de collaborer davantage, explique Yang Zhanqiu, directeur adjoint de l’Institut de virologie de l’Université de Wuhan. L’absence de collaboration internationale sur la recherche d’un vaccin est regrettable», soupire-t-il. Depuis le 25 mars, tout article ayant trait au coronavirus en Chine doit être approuvé par le Ministère de l’éducation avant d’être proposée à une revue scientifique.
Depuis février, la plupart des scientifiques spécialisés dans la recherche sur les vaccins en Chine ont été mobilisés de près ou de loin pour prêter mainforte. Plus d’un millier de chercheurs seraient impliqués, d’après la presse chinoise.
L’Etat est aussi intervenu pour faciliter les démarches administratives: les principaux candidats – l’armée et CanSino, Sinovac, une start-up détenue par une entreprise d’Etat chinoise, et l’Institut de virologie de Wuhan
– ont chacun reçu une autorisation conjointe pour mener les deux premières phases de tests. Une décision critiquée par des scientifiques chinois estimant que l’autorisation de la phase 2 aurait dû être soumise à une évaluation attentive des résultats de la phase 1.
Jusqu’à 100 millions de doses par an
Sinovac, qui a commencé ses tests en avril, a déjà lancé la phase 2 en mai. Dans la foulée, l’entreprise a annoncé la construction d’une usine pour produire jusqu’à 100 millions de doses du vaccin par an. Une phase 3 de tests à plus grande échelle est encore nécessaire. Elle peut révéler des effets secondaires sur des populations plus vulnérables écartées des premières phases, mais l’urgence de la situation oblige les entreprises à prendre des risques. En cas de succès, les laboratoires chinois pourraient profiter du Covid-19 pour redorer leur blason. Des scandales à répétition de vaccins frelatés et de corruption de responsables de commissions de santé locales ont profondément écorché la réputation des laboratoires chinois.
Wang Li, elle, n’a pas hésité à prêter son corps aux essais des scientifiques de l’armée et de CanSino, rassurée par une personne en particulier: la major générale Chen Wei. Célèbre pour avoir participé au développement d’un vaccin contre Ebola en Afrique, cette dernière a pris les commandes de l’Institut de virologie de Wuhan et de son fameux laboratoire P4 depuis le début de la crise. «J’ai moi-même un diplôme d’ingénierie chimique et j’ai pu me renseigner sur le contenu du vaccin. Mais avant tout, je fais confiance à Chen Wei, témoigne Wang Li. Elle est très respectée grâce à son travail sur Ebola. Si l’équipe gagne un Nobel de médecine, je serai fière. Faute d’être une grande scientifique, j’aurais été un cobaye.»