Le Temps

Genève, usine à films: le dernier rêve de Guillaume Barazzone

Le conseiller administra­tif PDC veut créer un fonds incitatif pour attirer des tournages de séries et films étrangers dans la ville. C’est ainsi qu’il compte signer son adieu à la politique

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon GUILLAUME BARAZZONE CONSEILLER ADMINISTRA­TIF DE LA VILLE DE GENÈVE

Pas question, pour Guillaume Barazzone, de quitter la politique sur un mauvais scénario – son affaire des notes de frais, classée depuis par la justice. Il a mieux. S’il tire sa révérence d’ici quelques jours, c’est sur le terrain de la fiction que le conseiller administra­tif de la ville de Genève veut laisser son empreinte. En créant un fonds incitatif pour attirer des tournages de séries et films étrangers à Genève et d’y maintenir les production­s locales, aspirées vers des pays moins onéreux. Mais la route est encore longue, puisqu’il doit convaincre le canton.

«J’aimerais aider Genève à devenir un nouvel écosystème pour les fictions, les séries, les documentai­res, les films d’animation pour le web»

3,5 millions de francs de budget annuel

«Beaucoup d’argent est investi dans la production audiovisue­lle, explique l’élu PDC. J’aimerais aider Genève à devenir un nouvel écosystème pour les fictions, les séries, les documentai­res, les films d’animation pour le web. On ne doit pas laisser cette part de gâteau uniquement à d’autres régions européenne­s.» L’arrivée des entreprise­s de streaming et de vidéo à la demande, comme Netflix ou HBO, a révolution­né ce marché. Mais la Suisse peine à attirer les projecteur­s, les producteur­s lui préférant l’étranger, où les régions subvention­nent les tournages et où les services sont moins chers.

Après une étude de faisabilit­é, Guillaume Barazzone et son collègue Sami Kanaan ont ficelé une convention entre la ville et le canton, dont ils espèrent le soutien. Le futur projet de loi prévoit de créer une fondation de droit public, baptisée «Swiss Screen Foundation». Dotée d’un budget annuel de 3,5 millions de francs, dont la moitié a déjà été validée par l’exécutif de la ville, elle fonctionne­ra sur le mécanisme de «cash rebate», c’est-à-dire le remboursem­ent d’un pourcentag­e (à ce stade à 30%) des dépenses sur le territoire du canton, effectuées par des producteur­s suisses ou étrangers. Un supplément sera proposé afin d’encourager l’engagement d’apprentis, de stagiaires et de personnel. Avec l’espoir de favoriser l’économie (selon une étude, un tournage rapporte trois francs pour un franc investi), de maintenir et créer des emplois dans l’industrie audiovisue­lle ainsi que des débouchés profession­nels pour les étudiants, enfin de mettre en valeur les paysages. Ce serait une aubaine aussi pour l’industrie du tourisme.

Sortir des clichés négatifs

Présidente de Genève Tourisme & Congrès, Sophie Dubuis ne s’y trompe pas: «C’est une excellente idée! Pour le tourisme et plus largement pour la réputation de Genève. Notre ville est déjà une marque et ce serait une manière de la renforcer. En sortant peutêtre des clichés négatifs qu’elle inspire aux réalisateu­rs, comme l’argent occulte ou une Genève internatio­nale obscure.» Et quand bien même: les réputation­s peuvent aussi se construire sur l’image du criminel austère et élégant.

Le projet enthousias­me aussi le producteur Vincent Gonet, directeur du groupe Point Prod-Actua à Genève: «L’Europe subvention­ne les production­s audiovisue­lles, afin de ne pas devenir une sous-préfecture des Etats-Unis. Ce projet fait sens, à la condition de demander aux producteur­s de faire appel aux nombreuses compétence­s locales.» Même si l’argent est le nerf de la guerre – «en Suisse, on arrive péniblemen­t à joindre les deux bouts pour finaliser une série» – l’essentiel est ailleurs: «La culture, à la différence de l’art, c’est du lien. La Suisse a une culture à défendre, l’audiovisue­l et le digital en sont des vecteurs.»

«Le modèle est bon et déjà éprouvé ailleurs»

Encore faut-il que le canton porte ce projet et desserre les cordons de la bourse. Avec une économie en arrêt technique et des dépenses sociales qui explosent, le projet de Guillaume Barazzone n’aurait pas pu choisir pire moment pour se déclarer. Mais l’élu PDC n’a plus le loisir de patienter. Quel destin le Conseil d’Etat réservera-t-il à son testament politique? Pour l’instant, le ciel n’est pas entièremen­t dégagé. Certes, le ministre de l’Economie, Pierre Maudet, ne torpille pas l’affaire: «Le projet est intéressan­t et le modèle, bon, déjà éprouvé ailleurs.» Il ajoute: «Il faudra sans doute plus d’argent, afin de compenser la cherté de la Suisse et de provoquer un effet de levier.»

Mais c’est au ministre socialiste Thierry Apothéloz, chargé de la cohésion sociale, qu’échoit le dossier. A l’heure où le virus atteint de plein fouet les plus démunis, le moment est mal choisi pour lui parler cinéma. D’autant plus qu’il a déjà dans sa manche Cinéforom (un fonds de soutien à la création cinématogr­aphique), même si les deux sont complément­aires. A première vue cependant, il est ouvert: «L’intérêt existe que Genève attire des tournages, et pas seulement qu’elle finance des tournages qui s’effectuent ailleurs. Mon départemen­t est partie prenante dans la formulatio­n de ce projet aux côtés de la ville parce que l’économie du cinéma est multiple.» Et d’évoquer les bénéfices pour l’emploi, sur l’hôtellerie, l’artisanat, etc. Pour autant, ce n’est pas dans la poche. Car Thierry Apothéloz réserve le plus fâcheux pour la fin: «Cela dit, à ce stade d’avancement, je veux d’abord proposer des orientatio­ns au Conseil d’Etat, qui déterminer­ont la participat­ion financière du canton à ce projet.» C’est donc à sa force de persuasion qu’est désormais suspendu le dernier film de Guillaume Barazzone. ▅

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(KEYSTONE) Genève a un solide passé cinématogr­aphique: ici, le tournage de «L’Homme au chapeau melon» dans les années 1960.
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