Une euroobligation, avec masque et gel hydroalcoolique
Les jeux européens ont repris, avec leurs variations de ton, leur magie et ce qu’il faut d’anxiété pour tenir ensemble les participants. Lundi 18 mai, à la surprise générale, Emmanuel Macron et Angela Merkel annoncent leur accord sur une «union de transferts» financiers pour la «relance européenne face à la crise du coronavirus». La Commission européenne récoltera et garantira 500 milliards d’euros sur les marchés financiers qu’elle affectera aux dépenses de reconstruction dans les secteurs les plus touchés ainsi qu’aux investissements du futur pour l’environnement et le numérique. Comme l’Allemagne s’est toujours opposée à toute mutualisation des dettes des Etats européens, il est tentant de voir là une révolution. Certains évoquent le «moment hamiltonien» de l’Europe, du nom du rusé secrétaire au Trésor auquel les Etats-Unis doivent la garantie fédérale des dettes des Etats et la création d’une banque nationale publique. Il passe dans l’air quelque chose qui ressemble à l’euro-obligation tant espérée. La somme, il est vrai, est significative. C’est la première fois que la Commission s’engagerait sur des emprunts de taille macroéconomique remboursables dans le cadre de son propre budget, lequel devrait bien sûr être augmenté ou restructuré.
A ce moment-là de la pièce, entre le quatuor attendu des pays du Nord, Suède, Danemark, Autriche, Pays-Bas, qui rejette entièrement le plan tout en réfléchissant à un autre: OK pour 500 milliards mais sous forme de crédit, avec peut-être une part de subvention, surtout pas de dette mutualisée. Le Nord veut bien d’une dose de solidarité mais pas d’une structure équilibrante de transferts des plus riches vers les plus pauvres, et encore moins durable. Ce pour quoi d’ailleurs le duo franco-allemand se donne la peine de préciser que son programme est exceptionnel, limité dans le temps et unique. Songerait-il à de vraies obligations européennes qu’un changement de traité s’imposerait. Il ne s’y risque pas. Angela Merkel continue d’affirmer que la prospérité de l’Allemagne dépend de la bonne santé de l’Union. C’est tant mieux qu’elle l’affirme, reste à savoir si son électorat adopte le raisonnement. On sait qu’en France, la même affirmation faite par Emmanuel Macron soulève le ricanement. La France, selon l’Eurobaromètre de juin 2019, est le pays où le principe du libre-échange n’est approuvé que par 53% des gens interrogés, alors qu’il l’est par plus de 70% dans tous les autres pays européens. Le «couple» franco-allemand qui soutient l’Union est le mariage des différences. Selon la dernière étude de European Values (2017), les Français ne sont que 27% à se faire confiance les uns aux autres, proches en cela des Méditerranéens, alors que le niveau de confiance interpersonnelle dépasse 40% en Allemagne, comme en Autriche ou en Grande-Bretagne. Selon la même logique, la dernière enquête du Cevipof met en avant la défiance profonde des Français à l’égard de toutes les institutions, partis politiques, syndicats, médias, UE, représentation politique (sauf les conseils municipaux) par rapport à la relative confiance que celles-ci inspirent en Allemagne. Le système capitaliste n’a guère plus d’attirance pour les Français, qui sont 39% à vouloir le «réformer en profondeur», comparé à 21% des Allemands du même avis. Les Français sont également 48% à croire que «depuis quinze ans, les gouvernements cherchent à supprimer le modèle social», croyance partagée par 19% seulement des Allemands.
La France en représentante des mentalités du Sud, l’Allemagne en représentante de celles du Nord, bricolent à grand renfort de détails précautionneux un compromis financier audacieux, sous le regard soupçonneux de l’Est craignant de perdre à défaut de gagner. C’est le théâtre d’une Union européenne immensément fragile que ses peuples incrédules habitent en maugréant sans vouloir ni plus, ni moins. La parole multiprise d’Alain Berset lui va bien: «Aussi vite que possible et aussi lentement de nécessaire.»
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