Quand solutionnisme et politique jouent à cache-cache avec la loi
La situation récente de l’utilisation forcée d’une plateforme numérique de «proctoring» (surveillance d’examens) par la Faculté d’économie et de management de l’Université de Genève soulève deux problèmes importants qui nous touchent très directement et met en évidence le décalage croissant entre nos institutions et le monde dans lequel nous vivons et souhaitons vivre en matière de transition numérique. Le premier consiste à s’abriter derrière et à exploiter les failles ou les manques juridiques pour arriver à ses fins, coûte que coûte, cédant au solutionnisme technologique au lieu de se poser les vraies questions (politiques) difficiles.
L’entêtement à vouloir à tout prix imposer et forcer les étudiants à utiliser une telle plateforme, et cela malgré l’avis défavorable du préposé cantonal à la protection des données et à la transparence, malgré les demandes explicites des étudiants et en dépit de nombreux avis sur les aspects inefficaces et anxiogènes de ces approches, est déjà en soi très discutable. Et c’est sans parler des essais dans l’urgence d’examens en blanc sur la plateforme qui semblent avoir été catastrophiques.
Au-delà de tout cela, le pire est probablement de s’être abrité juridiquement derrière une loi obsolète datant de 2002 qui ne reconnaît pas encore pour l’époque, et c’est normal, les données biométriques comme données personnelles sensibles, alors que toutes les révisions des cadres légaux sur la protection des données, européens et même genevois, les reconnaissent comme telles. Donc au final un entêtement allant à l’encontre du bon sens, de toute forme de bienveillance et certainement d’une humanité faisant cruellement défaut.
Le second problème, tout aussi préoccupant et directement en lien avec la situation ci-dessus, concerne la révision de la LIPAD (loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles). En effet, cette révision, qui intègre justement la reconnaissance des données biométriques comme données personnelles sensibles, est prête depuis trois ans! Elle dort paisiblement dans les tiroirs et méandres politiques, n’ayant personne pour la porter et la faire aboutir. Bien entendu, ce n’est pas l’exemple de la Confédération en la matière (LPD) qui pourrait servir, étant elle-même empêtrée dans des atermoiements politiques infinis pour finalement éventuellement aboutir, cinq ou six ans après l’annonce du délai d’entrée en vigueur du RGPD européen. Néanmoins, le travail ayant été fait par le bureau du préposé cantonal, pourquoi ce dossier est-il toujours dormant? Dans l’intervalle, la question semble être posée par une question urgente écrite au Grand Conseil genevois par un député.
Le solutionnisme technologique tel que décrit par Evgeny Morozov cohabite très mal avec l’urgence. NON, il n’y a pas une app pour tout! NON, la technologie n’est pas la solution à tous les maux et problèmes de notre société! Et encore moins dans l’urgence! Or c’est bien là que la situation actuelle est devenue très préoccupante: cette situation d’urgence qui pousse un peu tout le monde à se laisser envoûter par les promesses ou le mirage du «solutionnisme technologique».
En fait, si l’urgence peut être source d’accélération de prise de conscience et de moteur d’innovation (même sociale), elle peut aussi être un catalyseur dangereux de fantasmes poussant à recourir à ce solutionnisme technologique par une transposition quasiment linéaire des problèmes. Or, c’est justement là qu’il faut faire encore plus attention à ne pas céder à la tentation consistant à s’emparer de la technologie comme d’une bouée de sauvetage qui résoudra tous les problèmes. Dans l’urgence, il est encore plus important d’accorder une attention toute particulière aux exigences liées à la nouvelle situation et par conséquent de ne pas foncer aveuglément dans la «promesse» d’une technologie sans avoir pris grand soin à bien définir les usages et la finalité poursuivie. Seulement à ce moment-là pouvons-nous envisager des moyens afin de mettre en oeuvre un «design» (conception) qui doit être désirable sans omettre les exigences essentielles de qualité, de robustesse, de sécurité, etc.
Enfin, la fabrication et l’évolution des lois doivent pouvoir refléter les besoins des rythmes d’évolution de nos sociétés actuelles afin de se prémunir contre le dévoiement de cet instrument au détriment de l’esprit de la loi.
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NON, il n’y a pas une app pour tout! NON, la technologie n’est pas la solution à tous les maux et problèmes de notre société!