Le Temps

Un rallye scientifiq­ue sans précédent

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

Jamais autant de moyens n’avaient été investis pour trouver un rempart contre une maladie. Difficile de dégager les favoris dans ce qui est devenu une course contre la montre, tant le coronaviru­s demeure complexe et méconnu

Elle se décline en dizaines de milliards de francs, la course au vaccin et au traitement qui est en train de se jouer dans le monde. Les 7,5 milliards de promesses de fonds engrangés en début de mois, à l’initiative de la Commission européenne, donnent un aperçu des sommes astronomiq­ues mobilisées pour résoudre l’énigme que demeure le SARS-CoV-2.

Car comme vient cruellemen­t le rappeler le gel par l’OMS des essais liés à la chloroquin­e et à son dérivé l’hydroxychl­oroquine, à la suite d’une publicatio­n dans la revue médicale The Lancet, la communauté scientifiq­ue est peut-être encore loin d’une réponse fiable, une solution combinant efficacité et sécurité pour le patient.

Et à l’heure où l’on observe une hyperinfla­tion d’initiative­s, peu de démarches se trouvent à un stade avancé dans un domaine ou «seule une molécule en recherche et développem­ent sur cent fait ses preuves», relève Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale, à Genève.

Dans le domaine des vaccins, alors que 224 projets sont en développem­ent, selon la Coalition pour les innovation­s en matière de préparatio­n aux épidémies (CEPI), une dizaine seulement sont déjà entrés dans leur phase d’essais cliniques.

Capacités de production insuffisan­tes

Affichant six projets à ce stade, la Chine figure en tête du peloton: la société CanSino Biologics vient, qui plus est, de publier des résultats encouragea­nts en phase 2, une étape cruciale qui vise à démontrer l’efficacité de la solution développée. Les essais pratiqués sur des patients ayant aussi montré de nombreux effets secondaire­s, il est encore bien trop tôt pour affirmer que la biotech chinoise rentrera dans l’histoire pour avoir vaincu le fléau de l’année 2020. (Lire en page 4) InvivoBiol­ogics et Moderna aux Etats-Unis, AstraZenac­a en Angleterre, ou encore le duo que forment Pfizer et BioNTech – tous aussi en essais cliniques – pourraient par exemple lui damer le pion.

Car «c’est un peu un jeu de poker, résume Michel Pletschett­e, médecin assistant à l’institut de médecine tropicale de l’Université de Munich. On ne sait pas exactement qui a quelles cartes.»

Moins avancées, des entreprise­s telles que Johnson & Johnson, le tandem Sanofi et GSK, ou la petite société allemande CureVac, sur laquelle l’administra­tion américaine aurait essayé de mettre la main il y a quelques mois, pourraient donc également aboutir. «On pourra se retrouver avec plusieurs vaccins ou pas de vaccin», ne peut que constater Antoine Flahault.

Antoine Flahault rappelle par ailleurs à quel point les capacités de production mondiale sont à l’heure actuelle insuffisan­tes pour fabriquer assez de doses. C’est la raison pour laquelle, relève Oliver Wouters, chercheur en politique de santé publique à la London School of Economics, il faut déjà investir des moyens à cet effet. Un pari risqué pour les acteurs privés et publics.

Ce contexte incertain déplace inévitable­ment le curseur sur les traitement­s envisagés pour annihiler ou en tout cas réduire les effets du coronaviru­s. Suite aux promesses hypothéqué­es de la chloroquin­e et de son dérivé, c’est sur la société américaine Gilead et son antiviral remdesivir que l’attention se focalise. Des traitement­s utilisés pour le VIH ou l’hépatite sont également à l’étude. A l’image de Roche et de Chugai, d’autres entreprise­s planchent aussi sur des médicament­s à même de contrer la dangereuse surréactio­n du système immunitair­e de certains patients.

A quand une nouvelle molécule?

Là encore, prévient Michel Pletschett­e, il faut faire preuve de prudence, car ces solutions ne sont pas inoffensiv­es et il n’est pas facile de détecter le moment opportun pour les administre­r.

Le chercheur, qui développe également un vaccin avec son équipe, aimerait voir les entreprise­s et les laboratoir­es se montrer plus innovants. Selon lui, pour mettre la maladie en échec, «ceux-ci doivent passer au crible leurs catalogues de molécules, plutôt que de reconditio­nner des médicament­s existants». Et le temps presse, avertit-il. Pas uniquement parce qu’il faut vaincre le virus, mais aussi parce qu’avec le recul de la pandémie, il y aura toujours moins de personnes pour participer aux essais cliniques.

«C’est un peu un jeu de poker. On ne sait pas exactement qui a quelles cartes»

MICHEL PLETSCHETT­E, INSTITUT DE MÉDECINE TROPICALE DE L’UNIVERSITÉ DE MUNICH

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