«Non, non, rien n’a changé. Tout, tout a continué»
Les plus anciens se souviennent certainement de ce tube des Poppys (1971), une chorale d’enfants chantant du rock (ce qui était peu commun à l’époque). La chanson parle de la guerre qui finit toujours par revenir et déçoit les espoirs d'une paix durable. Aujourd'hui, le refrain résume bien la désillusion que ressentent certains d'entre nous. Il faut se rendre à l'évidence: le coronavirus ne va pas changer la face du monde. Il y aura bel et bien un «retour à l'anormal» (c'est le slogan à la mode) ou «à l'immonde normal» (le même en plus tranchant). Une amie de Facebook nous avait prévenus: «Le Covid-19 est une pandémie, pas un miracle.»
Dans une première phase au moins, le «monde d’après» sera le «monde d’avant» en pire. Si, en Europe, la pandémie touche à sa fin (c'est loin d'être le cas en Inde et sur le continent américain), la crise économique, d'une gravité sans précédent, elle, ne fait que commencer. Rien n'indique, comme l'avaient espéré certains économistes, qu'elle sera de courte durée. La reprise sera lente, notamment parce que le timing de l'épidémie n'est pas le même d'un continent à l'autre et que la cohabitation durable avec le virus exige des précautions qui vont freiner le redémarrage. Comme toujours en pareil cas, la crise sociale perdurera plusieurs années. Ne parlons même pas de l'endettement colossal des Etats.
A moyen et long terme, il est possible en revanche que le Covid-19 puisse être considéré un jour comme ayant été le détonateur d’une vaste redistribution des cartes. En Europe, les effets nuisibles d'une mondialisation sans limite sont apparus au grand jour. Notre dépendance à l'égard de la Chine, un pays totalitaire qui ne cache plus sa volonté d'hégémonie, est perçue comme de plus en plus problématique. La relocalisation des industries stratégiques (les médicaments, les batteries, les communications et l'informatique) est devenue un vrai sujet. La réflexion pourrait d'ailleurs être étendue à l'industrie textile: le potentiel de l'Europe de l'Est est considérable.
Est-ce possible? Oui certainement, mais cela suppose pour les produits à haute technologie une collaboration entre pays européens comparable à celle qui a permis le triomphe de l’Airbus. Surtout, la relocalisation de certaines industries exige que l'Europe sorte la logique du «toujours moins cher» qui semble avoir été le principe de sa politique économique depuis quelques décennies. Même entièrement robotisés, même avec le renfort de l'intelligence artificielle, les produits européens seront plus chers que les produits chinois. Les relocalisations ne peuvent s'imaginer sans une protection tarifaire, soit sous forme d'augmentation des droits de douane, soit sous la forme d'une TVA environnementale prenant en compte le nombre de kilomètres parcourus du lieu de production jusqu'au lieu de consommation (cette solution a fait l'objet de nombreuses études au Parlement européen).
Une relocalisation industrielle sans mesures d’accompagnement aurait pour conséquence de réduire le pouvoir d’achat des groupes à revenus modestes, ce qui rend sa réalisation aléatoire. D'une manière ou d'une autre, le processus doit donc s'accompagner d'une répartition des revenus moins inéquitable que celle que nous connaissons aujourd'hui. Cet objectif peut être atteint par une revalorisation substantielle des salaires les plus bas, ce qui n'est nullement irréaliste. Les salaires de misère versés dans les pays les plus développés trouvent souvent leur justification dans les exigences de compétitivité. Or, il est frappant de constater qu'ils sont généralement pratiqués dans des secteurs qui travaillent essentiellement pour le marché local (restauration, hôtellerie et commerce de détail). La revalorisation des retraites les plus modestes serait tout aussi nécessaire, au même titre que la part de financement des assurances sociales par le biais de l'impôt. C'est socialement et écologiquement souhaitable, et économiquement supportable. Alors, qu'attend-on?
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