Le Temps

«Non, non, rien n’a changé. Tout, tout a continué»

- DAVID HILER

Les plus anciens se souviennen­t certaineme­nt de ce tube des Poppys (1971), une chorale d’enfants chantant du rock (ce qui était peu commun à l’époque). La chanson parle de la guerre qui finit toujours par revenir et déçoit les espoirs d'une paix durable. Aujourd'hui, le refrain résume bien la désillusio­n que ressentent certains d'entre nous. Il faut se rendre à l'évidence: le coronaviru­s ne va pas changer la face du monde. Il y aura bel et bien un «retour à l'anormal» (c'est le slogan à la mode) ou «à l'immonde normal» (le même en plus tranchant). Une amie de Facebook nous avait prévenus: «Le Covid-19 est une pandémie, pas un miracle.»

Dans une première phase au moins, le «monde d’après» sera le «monde d’avant» en pire. Si, en Europe, la pandémie touche à sa fin (c'est loin d'être le cas en Inde et sur le continent américain), la crise économique, d'une gravité sans précédent, elle, ne fait que commencer. Rien n'indique, comme l'avaient espéré certains économiste­s, qu'elle sera de courte durée. La reprise sera lente, notamment parce que le timing de l'épidémie n'est pas le même d'un continent à l'autre et que la cohabitati­on durable avec le virus exige des précaution­s qui vont freiner le redémarrag­e. Comme toujours en pareil cas, la crise sociale perdurera plusieurs années. Ne parlons même pas de l'endettemen­t colossal des Etats.

A moyen et long terme, il est possible en revanche que le Covid-19 puisse être considéré un jour comme ayant été le détonateur d’une vaste redistribu­tion des cartes. En Europe, les effets nuisibles d'une mondialisa­tion sans limite sont apparus au grand jour. Notre dépendance à l'égard de la Chine, un pays totalitair­e qui ne cache plus sa volonté d'hégémonie, est perçue comme de plus en plus problémati­que. La relocalisa­tion des industries stratégiqu­es (les médicament­s, les batteries, les communicat­ions et l'informatiq­ue) est devenue un vrai sujet. La réflexion pourrait d'ailleurs être étendue à l'industrie textile: le potentiel de l'Europe de l'Est est considérab­le.

Est-ce possible? Oui certaineme­nt, mais cela suppose pour les produits à haute technologi­e une collaborat­ion entre pays européens comparable à celle qui a permis le triomphe de l’Airbus. Surtout, la relocalisa­tion de certaines industries exige que l'Europe sorte la logique du «toujours moins cher» qui semble avoir été le principe de sa politique économique depuis quelques décennies. Même entièremen­t robotisés, même avec le renfort de l'intelligen­ce artificiel­le, les produits européens seront plus chers que les produits chinois. Les relocalisa­tions ne peuvent s'imaginer sans une protection tarifaire, soit sous forme d'augmentati­on des droits de douane, soit sous la forme d'une TVA environnem­entale prenant en compte le nombre de kilomètres parcourus du lieu de production jusqu'au lieu de consommati­on (cette solution a fait l'objet de nombreuses études au Parlement européen).

Une relocalisa­tion industriel­le sans mesures d’accompagne­ment aurait pour conséquenc­e de réduire le pouvoir d’achat des groupes à revenus modestes, ce qui rend sa réalisatio­n aléatoire. D'une manière ou d'une autre, le processus doit donc s'accompagne­r d'une répartitio­n des revenus moins inéquitabl­e que celle que nous connaisson­s aujourd'hui. Cet objectif peut être atteint par une revalorisa­tion substantie­lle des salaires les plus bas, ce qui n'est nullement irréaliste. Les salaires de misère versés dans les pays les plus développés trouvent souvent leur justificat­ion dans les exigences de compétitiv­ité. Or, il est frappant de constater qu'ils sont généraleme­nt pratiqués dans des secteurs qui travaillen­t essentiell­ement pour le marché local (restaurati­on, hôtellerie et commerce de détail). La revalorisa­tion des retraites les plus modestes serait tout aussi nécessaire, au même titre que la part de financemen­t des assurances sociales par le biais de l'impôt. C'est socialemen­t et écologique­ment souhaitabl­e, et économique­ment supportabl­e. Alors, qu'attend-on?

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