Nathalie Chaix, la fougue enthousiaste pour faire rayonner le Musée Jenisch
Adepte d’un rapport émotionnel avec les oeuvres, cette historienne de l’art franco-genevoise dirige depuis un an le Musée Jenisch, à Vevey. Elle aspire à mieux faire connaître ses trésors
«Nous avons des Hodler fantastiques! J’aime tout chez lui: ses marches entre Berne et Genève, son art de marier l’intime et la nature, sa passion pour sa maîtresse, Valentine»
Nathalie Chaix apparaît à l’instant. C’était l’autre matin, l’un des premiers du déconfinement, et le Musée Jenisch à Vevey s’éveillait comme la Belle au bois dormant. Devant la porte d’apparat, vous attendez la maîtresse des lieux. Et voilà qu’elle descend l’escalier d’honneur. Dans sa robe coquelicot, elle ressemble à une duchesse de comédie, de cape et d’épée, celle qui pousse au dépassement de soi le bel Angelo dans Le Hussard sur le toit de Jean Giono.
Tous les matins, elle dévale les marches de ses songes et accueille l’hôte de passage. Ces jours, elle et son équipe de 14 personnes jouissent de leur fief retrouvé. Leur fierté? Des collections où fraternisent Barthélemy Menn, Corot, Oskar Kokoschka, Picasso, sans oublier le Vaudois Gérard de Palézieux, dont les visions en noir et blanc, actuellement exposées, fascinent.
Genève comme écrin
A peine installée à la tête de la maison, Nathalie Chaix s’est juré de partager ce trésor avec le plus grand nombre. C’est dans son tempérament, un mélange d’autorité, d’emballement, de fièvre esthétique. Voyez-la dans son bureau. On respecte les distances et on s’extasie de concert. Les DentsBlanches cisaillent l’azur au loin, tandis qu’à proximité trois mouettes patrouillent avec une nonchalance de rentière. Le ravissement de la lumière, en somme.
Ce théâtre sied à l’historienne de l’art. Elle est habituée aux palais de mélodrames. A 25 ans, cette Française s’était forgé une panoplie: un master en communication, un autre en histoire de l’art. Au Département des affaires culturelles de la ville de Genève, elle prenait du grade, cheffe à 27 ans du Service de la promotion culturelle. Elle sublimait alors ses doutes en aplomb.
La voici bras droit de Cäsar Menz, directeur du Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève. Cette période est celle des élans et des turbulences. L’amitié de son patron. La hantise du coup fourré. Un audit précipite en 2009 la chute de son mentor. L’éviction est injuste et indigne, estiment des observateurs.
Estomaquée, Nathalie Chaix reprendra son souffle à la tête de la Maison Tavel – qui dépend du MAH. Bientôt, elle traversera l’Arve pour diriger le Musée de Carouge. Mais l’écrin est trop menu pour l’insatiable.
Ambitieuse? Oui, mais comme une héroïne de Giono. Avec une fougue et une gaieté qui déroutent les trop cartésiens, enchantent les esprits imaginatifs. «A Vevey, je dois tout recommencer. J’adore ça! Oui, j’adore ça.» Son enthousiasme est un aria. Elle ne veut pas faire de révolution. L’institution a vécu presque deux ans sans direction, depuis le départ de sa prédécesseur, Julie Enckell Julliard. «L’équipe a formidablement assuré, dit-elle. Je suis là pour mettre en avant des talents et de très belles collections.» Une autorité amusée de général d’opérette, donc. Et un coeur d’encre. «A propos, si vous deviez passer une nuit avec une oeuvre, ici même?» «Ce serait un Ferdinand Hodler, sans hésiter. Nous en avons des fantastiques! J’aime tout chez lui: ses marches entre Berne et Genève, son art de marier l’intime et la nature, sa passion pour Valentine, sa maîtresse qui tombe malade à Vevey. Il la suit et la dessine jusque dans son agonie.»
Tout converge dans ce fantasme hodlérien. L’oeuvre et l’être forment un même diamant. Ce qu’elle traque, c’est le secret d’une vie que la toile n’efface pas. L’onde d’un choc. Auteure de trois romans, elle tourne autour de cela, justement. En 2007, elle entend parler du Prix littéraire Georges-Nicole destiné à des novices. «J’ai tout le temps écrit des journaux intimes. Des trucs phénoménalement nuls. J’avais alors un cahier secret et je l’ai envoyé. Aussitôt, j’ai eu honte.»
Un dimanche, dans sa Fiat Brava qui crache ses poumons, elle entend vibrer son téléphone. «Nous avons délibéré toute la journée, vous êtes notre lauréate.» Sous le choc, elle répond: «Ce n’est pas possible, c’est bien trop insuffisant.»
C’est ainsi qu’avec Exit Adonis, elle entre en littérature. Au coeur du récit, une emprise amoureuse. Elle confie avoir souvent chanté La Chanson d’Hélène et on la soupçonne de s’être rêvée en Romy Schneider – l’héroïne de son enfance. Dans Les Choses de la viede Claude Sautet, Romy alias Hélène se séparait avec une tendresse désarmée de Michel Piccoli. La Chanson d’Hélène était leur bouée, au bout de la jetée.
Nathalie Chaix est nostalgique. Chez elle, c’est une parure. Si elle devait être un personnage de film, elle serait Fanny Ardant et ses yeux d’ombre dans La Femme d’à côté de François Truffaut. Depuis huit ans, elle ne publie plus, mais écrit pour sa fille. «J’ai commencé à sa naissance, j’ai appelé cela les Cahiers de Clémence. Ce sont ses Mémoires, cette enfance qui finit par nous manquer.»
Carnets vierges
A son mari, le violoncelliste François Grin, elle a offert Tous les matins du monde, de Pascal Quignard, son auteur de chevet. Ce titre vaut comme porte-bonheur pour celle qui consacrera l’an prochain une exposition à la peintre Marguerite Burnat-Provins, autre flambeuse qui a laissé Le Livre pour toi.
Elle s’emballe à présent dans les bois de sa jeunesse savoyarde à Viuz-en-Sallaz. Elle se souvient de ses 15 ans où elle voulait être styliste; de sa nuit de noces à Vevey, déjà; de tous ces carnets vierges qu’elle collectionne dans une armoire, autant de ravissements en puissance. Parfois, elle regarde le soir tomber dans les miroirs, comme chantait Hélène. Vue ainsi, la vie a beaucoup d’allure.
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