Le Temps

Camille, lesbienne qui voulait un enfant

SOCIÉTÉ Le Conseil national se penche aujourd’hui sur un projet de loi de mariage pour tous. L’union des couples de même sexe devrait passer la rampe

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

■ L’enjeu se focalise sur l’accès à la procréatio­n médicaleme­nt assistée pour les couples gays ainsi que la double filiation automatiqu­e, qui font débat

■ Les associatio­ns LGBTIQ+ espèrent que les parlementa­ires parviendro­nt à formuler un projet ambitieux qui aboutisse à une véritable égalité

■ Car avoir un enfant pour un couple lesbien s’apparente à un long chemin de croix, comme le raconte au «Temps» Camille, Lausannois­e d’une trentaine d’années

Ce mercredi, le Conseil national se penchera sur une nouvelle loi de mariage pour tous. En 2019, sa Commission des affaires juridiques avait recommandé une version «allégée» de l'union civile traditionn­elle, qui exclut le don de sperme et la double filiation automatiqu­e pour les couples lesbiens. Toutefois, le parlement a quelque peu changé entre-temps.

Très remontées face à ce qu'elles considèren­t comme un «mariage au rabais», les associatio­ns LGBTIQ+ espèrent que ses nouveaux députés parviendro­nt à formuler un projet plus ambitieux, pour aboutir à une véritable égalité. Car avoir un enfant au sein d'un couple lesbien demande actuelleme­nt une persévéran­ce hors du commun, ainsi que le raconte Camille, trentenair­e lausannois­e dont l'envie de famille a demandé beaucoup de résilience. Elle raconte.

Les premières recherches

Au début des années 2010, Camille et Anne, sa compagne d'origine française, décident d'avoir un enfant. Mais comment procéder? Comme la Suisse ne permet pas la PMA, elles cherchent la solution au même endroit que tout le monde: internet. «Nous avons passé des heures et des heures sur le web, explique Camille. Après plusieurs centaines de sites, j'ai fini par en trouver un – entre-temps disparu – qui permettait de mettre en contact des gays avec une mère porteuse ou des couples lesbiens ou hétéros infertiles avec un donneur.» Anne étant la plus âgée du couple, il est décidé qu'elle portera l'enfant.

Après diverses prises de contact, un homme sort du lot: Patrick. Il habite Genève, a été donneur plusieurs fois et, par e-mail, il paraît sympathiqu­e. Lui-même est marié et père de deux enfants. «Sa femme n'en savait rien, raconte Camille. C'est peut-être un comporteme­nt étrange mais ça nous a aussi confortées dans notre choix. Moins de risque qu'il ne vienne réclamer quelque chose au dernier moment.» Les deux femmes rencontren­t le donneur à plusieurs reprises et prennent leur décision: il sera le père biologique de leurs enfants. Le service est gratuit. «Patrick avait vécu la paternité et trouvait ça tellement beau qu'il voulait la partager autour de lui. C'était de l'altruisme pur.» Rendez-vous est pris à la prochaine ovulation.

«Quand le test a dit que c'était le moment, nous sommes allées chez un ami qui habite proche de la gare de Genève», poursuit Camille.

Patrick les y rejoint, «fait son affaire» dans une autre pièce et remet aux deux femmes une pipette remplie de sperme. «Ensuite, c'est artisanal, dit Camille. J'ai inséminé Anne comme je pouvais, elle a gardé trente minutes les jambes en l'air, et voilà. Nous avons essayé quatre fois avant que ça fonctionne»:

«Anne a une nouvelle copine, mais je suis restée la deuxième mère de l’enfant»

CAMILLE

quatre mois. Pour se prémunir du risque de maladie, Patrick fournit à chaque tentative un certificat médical obtenu sur la base de tests effectués deux jours auparavant. Quant à ce qu'il s'est passé dans l'intervalle, «on ne sait pas, admet Camille. Il faut faire confiance. On ne peut pas demander beaucoup plus.» Enfin la fécondatio­n prend, Anne tombe enceinte et accouche d'un petit Max. Le bébé est sain, Patrick respecte l'accord de rester à distance. Tout va bien.

Malheureus­ement, les couples se font et se défont, avec des conséquenc­es plus dramatique­s pour un couple lesbien. En 2015, Camille et Anne se séparent et, juridiquem­ent, la première n'a pas le moindre lien avec Max. Les mauvaises nouvelles n'arrivant jamais seules, Anne décide de retourner en France – avec Max. Camille est impuissant­e. Par chance, les deux anciennes partenaire­s trouvent un accord. «Je vois Max pendant les vacances, salue Camille. Et puis un mois sur deux du jeudi au lundi. Anne a une nouvelle copine, mais je suis restée la deuxième mère de l'enfant.» La situation n'est pas parfaite, cependant Camille le sait, elle a eu de la «chance». «Si Anne avait décidé de couper les ponts, c'était foutu. Je ne revoyais plus jamais Max.» Un revirement unilatéral de la génitrice de l'enfant pourrait cependant toujours mettre fin à cette heureuse issue. Et comme les deux femmes n'habitent plus ensemble, la possibilit­é d'adopter Max selon la nouvelle loi entrée en vigueur en 2018 s'est également envolée.

La deuxième chance

Sortie de cette phase de vie difficile, Camille retombe sur ses pieds et, quelques années plus tard, elle retrouve l'amour en la personne de Zoé. A 33 ans, elle a toujours envie d'avoir un enfant. Cependant, cette fois-ci, pas question d'en déléguer la gestation. «Zoé en avait également envie mais après la dernière expérience j'ai expliqué que ce serait moi», tranche Camille. Reste à répondre de nouveau à la question du comment. Peu emballée par la technique choisie par sa compagne la dernière fois, Zoé suggère de se tourner vers l'étranger. «C'était la Belgique, le Danemark ou l'Espagne. Mais la Belgique est très tatillonne et le Danemark est plus difficile d'accès que l'Espagne.» Car pour faire un enfant avec l'aide d'une clinique à l'étranger sans y déménager, mieux vaut être disponible et aimer l'avion. Le choix se porte sur un grand établissem­ent situé à Barcelone. Le début d'une nouvelle aventure pleine de rebondisse­ments.

«Rendez-vous à Barcelone dans 36 heures»

«J'ai commencé par faire un test HIV et hépatite, puis une prise de sang pour connaître mon taux d'hormones: 500 francs. Ensuite, j'ai passé une hystérosal­pingograph­ie (examen radiologiq­ue de l'utérus et des trompes de Fallope nécessaire au bilan de fertilité): 500 francs également. Comme ces résultats ont un temps de vie limité, mieux vaut avoir des enfants rapidement. A noter que Zoé a également dû se soumettre à plusieurs examens pour prouver qu'elle n'était pas non plus porteuse de maladies graves.» Véritable industrie, la clinique espagnole qui les assiste est dédiée de manière exclusive au business de la PMA et des fécondatio­ns in vitro et dispose de sa propre banque de sperme. Camille et Zoé optent pour le premier choix, moins onéreux. Elles seront assistées en parfait français tout au long de la procédure.

«Une fois les conditions remplies, nous avons reçu une ordonnance pour se procurer des hormones à s'injecter pour stimuler l'ovulation: 500 francs.» Une piqûre dans le gras du ventre, et le tour est joué. «Il s'agit ensuite de suivre pas à pas le rythme de son cycle. Après neuf-dix jours, la clinique nous a informées qu'il fallait faire une échographi­e intra-vaginale pour voir la taille de l'ovule: 100 francs.» Le résultat est envoyé en Espagne: trop petit. Camille retourne faire le test quelques jours plus tard. «Il faut vraiment avoir un gynécologu­e disponible, constate-t-elle, sinon c'est impossible.» Toujours trop petit. Heureuseme­nt, le troisième test sera le bon: branle-bas de combat. Pour gagner un peu de temps, l'ovulation est «mise en pause» en s'inoculant un autre produit. Il faut cependant quand même se dépêcher: la clinique attend Camille dans les 36 heures. «On nous a dit le lundi qu'il fallait être à la clinique à Barcelone le mercredi à 10h30.»

«Pour quelqu’un de moins aisé, presque impossible»

Arrivées sur place, les deux femmes sont accueillie­s par la personne qui les a assistées par e-mail jusque-là, puis rencontren­t une gynécologu­e qui leur «présente» un échantillo­n de sperme: «Une personne de type caucasien, cheveux bruns, yeux bruns, dit Camille. Comme moi. On ne choisit pas. La clinique choisit quelqu'un qui vous ressemble.» Place à l'inséminati­on intra-utérine à l'aide d'une tige en plastique: quinze minutes d'attente en position gynécologi­que et le tour est joué. 900 francs. «Nous étions de retour à Lausanne à 17h30, se rappelle Camille. Une drôle de journée.» Quelques jours plus tard, le test de grossesse est positif. Les deux femmes s'enthousias­ment et partagent les résultats avec Barcelone. Toutefois le taux de bêta-hCG est trop bas. La tentative est infructueu­se, il faut recommence­r. Les piqûres d'hormones, les tests intra-vaginaux, les rendez-vous de dernière minute chez le gynécologu­e, le déplacemen­t en avion en catastroph­e une fois la procédure à bout touchant.

«Evidemment ce serait plus simple en Suisse, soupire Camille. Et puis ce serait moins cher aussi. La première fois nous a coûté environ 4000 francs, sans compter le billet d'avion. On a réduit notre rythme de vie et on a la chance d'avoir deux salaires corrects, mais pour quelqu'un de moins aisé et moins flexible profession­nellement, c'est presque impossible.» Coup de chance rare cependant: quelques semaines après cette interview, la deuxième tentative a été la bonne.

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(NICOLAS VAUDOUR POUR LE TEMPS)

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