Le Temps

La menace et la force: la stratégie de Donald Trump

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK

Une bible et un air martial. Alors que l'Amérique s'embrase, que des réserviste­s de la Garde nationale sont déjà déployés dans de nombreuses villes, Donald Trump menace de faire appel à «des milliers de soldats lourdement armés» pour imposer l'ordre dans les rues. Pas d'appel au calme et à l'unité, mais une posture nixonienne de «loi et ordre» (law and order) pour terrasser la colère: voilà la seule réponse du président des Etats-Unis aux émeutes déclenchée­s par la mort de l'Afro-Américain George Floyd sous le genou d'un policier blanc. Les armes à la place des mots.

Et c'est une bible à la main, devant l'«église des présidents» barricadée, que Donald Trump s'est montré lundi, pour une opération de communicat­ion parfaiteme­nt huilée. Il a pu s'y rendre à pied, parce que les manifestan­ts autour de la Maison-Blanche avaient préalablem­ent été dispersés par des gaz lacrymogèn­es et des grenades assourdiss­antes.

La scène est surréalist­e. Donald Trump n'a qu'un objectif: sa réélection le 3 novembre. Il veut apparaître invincible. La bible, c'est notamment pour faire plaisir aux évangélist­es, qui constituen­t une bonne partie de sa base électorale. Une instrument­alisation rapidement dénoncée par la pasteure responsabl­e de l'église épiscopale Saint-John, qui n'a pas goûté à sa mise en scène et s'est dite scandalisé­e par le «langage incendiair­e du président». Mardi, rebelote. Le président s'est cette fois rendu, avec la First Lady, devant une statue du pape Jean Paul II, pour faire croire à une sorte de mission divine. Cette fois, c'est l'archevêque de Washington, Wilton Gregory, qui a dénoncé cette utilisatio­n de symboles chrétiens.

Donald Trump veut aussi apparaître comme le président qui restaure l'ordre et combat un «terrorisme intérieur». Il veut terrasser les «anarchiste­s» et les «radicaux de gauche». Or des suprémacis­tes blancs ont également contribué à attiser la haine et à semer le chaos. Mais là, pas un mot.

Le président agit avec les émeutes comme il l'a fait avec le Covid: cachons tout ce désordre sous le tapis, pour «redonner sa grandeur à l'Amérique». Mais il accable en passant la gauche et les médias, et exacerbe les divisions et la peur, alors que de nombreuses manifestat­ions sont aussi pacifiques. En voulant faire croire à des perturbate­urs qui cherchent à le déstabilis­er, il fait diversion et évite de s'attaquer aux problèmes de fond: les divisions sociétales et les disparités raciales, déjà mises en exergue par la pandémie.

L'Amérique est au bord du gouffre, et Donald Trump apparaît comme un pompier pyromane. Il incite ses partisans à la violence et ses opposants à la révolte, au risque de donner à son pays des airs de guerre civile. Au milieu de ce chaos, son rival démocrate, Joe Biden, resté longtemps confiné dans sa cave à cause du coronaviru­s, a compris qu'il avait une carte à jouer. Mardi, à Philadelph­ie, il a tenu un discours au ton présidenti­el: «Je ne diviserai pas ce pays, je tâcherai de panser nos plaies, je ne chercherai pas à fuir mes responsabi­lités, à accabler autrui.»

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