New York la nuit, entre manifestations et affrontements
Dépassée par l’ampleur des protestations contre les violences policières, la plus grande ville américaine a dû imposer un couvre-feu à ses habitants pour la première fois depuis 1943. Reportage entre Brooklyn et Manhattan, où cette mesure exceptionnelle n’a pas empêché de nouveaux débordements lundi soir
A la tombée de la nuit lundi, la Cinquième Avenue de New York se barricade. Des ouvriers s’activent devant les magasins chics de cette rue, la plus chère du monde, pour les recouvrir de planches de bois et protéger leurs vitrines. Des gardes privés ont été embauchés par certaines marques et entament leur tour de garde. Devant eux, des groupes de jeunes New-Yorkais se pressent pour descendre l’avenue et rejoindre des milliers d’autres manifestants. Après les émeutes qui ont secoué la ville tout le week-end, New York se prépare à une nouvelle nuit de chaos.
Depuis vendredi, dans la plus grande ville des Etats-Unis, les manifestations contre les violences policières dégénèrent en affrontements avec les forces de l’ordre à la nuit tombée. Comme dans plus de 170 villes américaines, des dizaines de milliers de New-Yorkais se rassemblent pour crier leur colère après la mort de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans tué lors d’une intervention de police à Minneapolis. Ce week-end, plus de 50 véhicules de police ont été incendiés et 800 manifestants arrêtés. Alors lundi, les autorités ont décidé de doubler le nombre de policiers en fonction, passant de 4000 à 8000 agents sur le terrain. Le gouverneur Andrew Cuomo a aussi instauré un couvre-feu à New York pour la première fois depuis 1943.
De 23 heures à 5 heures du matin, toute personne se trouvant à l’extérieur peut être interpellée par les forces de l’ordre et risque jusqu’à 90 jours de prison.
«Ce couvre-feu sert uniquement de prétexte pour arrêter un maximum de manifestants et mettre un terme à nos manifestations, s’inquiète Josh, un Afro-Américain de 19 ans qui défile pacifiquement à Brooklyn ce lundi aprèsmidi. Ils ont peur et veulent nous mater, mais nous serons plus intelligents qu’eux.» Le jeune homme au bandana bleu sur la bouche a décidé de ne pas braver le couvre-feu ce lundi soir, principalement parce qu’il veut «continuer de lutter autant que possible» dans les jours qui viennent.
«J’ai été complice»
A Brooklyn ce lundi, le mot d’ordre est pacifique et rassembleur: «Montrons-leur que nous ne faisons qu’un», scande un des organisateurs de la manifestation. Kimberly, pull à capuche noir et casquette rouge sur la tête, défile parmi les milliers de manifestants pour montrer son ras-le-bol face à l’impunité des policiers américains. «En tant que femme noire, je ne me sens jamais en sécurité dans ce pays, raconte cette institutrice de 24 ans. J’aimerais me réveiller le matin en sachant que je vais revenir vivante à la maison le soir, que chaque membre de ma famille reviendra vivant, mais ce n’est pas le cas. Ce que je crains le plus? Une mauvaise rencontre avec la police.»
Si les Noirs américains sont les principales victimes de ces bavures policières, les manifestations rassemblent toutes les origines. Amy, une grande brune venue du Queens, brandit une pancarte en carton où est inscrit: «Silence des Blancs = violence des Blancs». «Si nous, les Blancs,
continuons de nous taire, alors les violences policières vont continuer, pointe la jeune femme de 26 ans. Moi-même j’ai été trop silencieuse sur ce sujet et j’en ai honte aujourd’hui: j’ai été complice de ces violences. Nous devons tous évoluer pour que les choses changent.»
La marche pacifique se poursuit sur des kilomètres sans un seul débordement, sans un seul carreau cassé. Même lorsque le cortège passe devant un bâtiment appartenant à Donald Trump, le président ne récolte que quelques insultes, mais pas de casse. A chaque rencontre avec des forces de l’ordre, les manifestants lèvent leurs bras et crient: «Mains en l’air, ne tirez pas!» Après avoir atteint Wall Street sur le coup de 21 heures, les manifestants pacifiques mettent un terme au rassemblement et se séparent en petits groupes. Les premières tensions émergent.
Pillages à Manhattan
Dans le quartier central des affaires, au coeur de Manhattan, des bandes commencent à briser des vitrines et certains en profitent pour piller des magasins d’alimentation. Le butin paraît souvent ridicule, des casseurs repartant avec des paquets de bonbons et des peluches… Des enseignes plus prestigieuses, comme les grands magasins Macy’s et des enseignes de mode, sont attaquées. Les forces de l’ordre interviennent en général trop tard pour faire cesser le saccage. «Si tu veux être en sécurité, éloigne-toi de la police», conseille un jeune Afro-Américain qui court entre les scènes de chaos. Le couvre-feu n’est pas encore tombé, New York sent déjà la poudre.
Deux minutes avant 23 heures et le début officiel de l’interdiction d’être dehors, une grenade assourdissante est lancée sur des manifestants à Herald Square. Mais le NYPD, la police newyorkaise, ne tente pas un assaut général: elle privilégie une action coordonnée mais plus lente, qui lui permet d’arrêter des casseurs un par un et d’éviter les affrontements trop importants. Ce jeu du chat et de la souris va se poursuivre jusque tard dans la nuit, avec pour résultat des dizaines de magasins vandalisés à Manhattan. Times Square, avec ses célèbres panneaux lumineux, est dévasté. Les émeutes ont rattrapé le coeur économique de l’Amérique.
Le maire de la ville, Bill de Blasio, a annoncé mardi l’avancement du début du couvre-feu de 23 à 20 heures, une mesure censée rester en vigueur toute la semaine.