Le Temps

Multinatio­nales: impasse parlementa­ire

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Les deux Chambres ne parviennen­t pas à formuler de contre-projet à l’initiative décriée par une partie de l’économie suisse. Ultime opportunit­é, une conférence de conciliati­on prévue en fin de semaine

Le législatif suisse n’y arrive pas. Ce mardi, après près de trois ans de débat, le Conseil des Etats a de nouveau refusé le contre-projet plébiscité par le National à l’initiative «pour des multinatio­nales responsabl­es». Comme la Chambre basse avait refusé celui des sénateurs en mars dernier et que la troisième navette parlementa­ire est désormais passée, les deux Chambres se retrouvero­nt ce jeudi en conférence de conciliati­on. Vu les profondes dissension­s sur le sujet, l’initiative qui fait trembler l’économie suisse pourrait cependant bien trôner seule devant l’urne en novembre.

«Extrême» selon Economiesu­isse

Le parlement n’en voulait pourtant pas. En mars dernier, il refusait le texte de l’initiative, qui souhaite conférer aux victimes étrangères de filiales d’entreprise­s domiciliée­s en Suisse le pouvoir de les poursuivre en justice sur sol helvétique. Pour tenter de répondre aux préoccupat­ions des initiants en matière de droits de l’homme, deux options plus modérées étaient sur la table. La première: un contre-projet formulé par le National en 2018 qui ne toucherait que les plus grandes entreprise­s (chiffre d’affaires de plus 80 millions ou bénéfice d’au moins 40 millions et 500 employés – deux des trois critères doivent être remplis) et limiterait leur responsabi­lité civile à leurs filiales juridiques directes.

Moins drastique que l’initiative, cette propositio­n qui prévoit également une procédure de conciliati­on obligatoir­e entre parties avant le lancement d’un procès a été plusieurs fois soutenue par la Chambre basse et dispose de l’aval des initiants: ils auraient retiré leur texte si le parlement l’avait adoubée. Elle a aussi l’appui d’un large groupe d’entreprene­urs et de faîtières économique­s, parmi lesquelles on retrouve la Fédération des entreprise­s romandes, le Groupement des entreprise­s multinatio­nales, Coop et Migros. Fin mai, la très importante Fédération des industries alimentair­es a encore rejoint cette cohorte, qui ne cesse de s’agrandir.

La propositio­n ne convient toutefois définitive­ment pas à la majorité conservatr­ice des sénateurs, qui a à nouveau torpillé l’idée ce mardi par 28 voix contre 17. «Extrême» selon Economiesu­isse, la propositio­n n’a jamais eu les faveurs des Etats, qui y préféraien­t un contre-projet formulé l’été dernier par la ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter. Moins contraigna­nt, ce dernier suggère l’obligation pour les multinatio­nales de rendre un rapport annuel sur leur politique dans le domaine des droits de l’homme – si toutefois elles disposent d’une telle politique – et un devoir de «diligence» en matière de travail d’enfants et d’extraction de minerais. Une version qui «correspond aux pratiques en cours dans l’UE», a plusieurs fois souligné l’exécutif.

Qualifiée de «tigre de papier», la propositio­n n’a jamais séduit les initiants

Le problème: qualifiée de «tigre de papier», elle n’a jamais séduit les initiants, qui avaient averti de longue date qu’ils ne retireraie­nt pas leur texte à son profit. Autre problème, le Conseil national n’en a jamais voulu non plus, suscitant le blocage qu’on connaît. Conséquenc­e: ne reste aujourd’hui plus qu’une seule issue, la conférence de conciliati­on. Composée des 13 membres de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats et d’une sélection du même nombre de politicien­s issus de sa consoeur du National, elle tentera de couper la poire en deux. Assez pour que les initiants retirent leur texte? «Cette possibilit­é existe encore», répond leur porte-parole, Chantal Peyer. En attendant la votation, inéluctabl­e.

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