Le Temps

Zoom aura-t-il raison des voyages d’affaires?

De nombreux patrons font part de leur intention de réduire les déplacemen­ts profession­nels. Une perspectiv­e qui renforce la pression sur une filière économique aujourd’hui à l’arrêt

- ALINE BASSIN @BassinAlin­e

Gain de temps, d’argent et de productivi­té. La pandémie semble avoir entraîné un alignement parfait des astres pour réduire les voyages d’affaires, une pratique déjà controvers­ée avant l’émergence du coronaviru­s en raison de son empreinte environnem­entale.

Selon une étude publiée la semaine dernière, 91% des patrons des 50 plus grandes entreprise­s états-uniennes entendent profiter des nouveaux outils technologi­ques – le populaire logiciel de téléconfér­ence Zoom en tête – pour passer moins de temps dans les avions. En Suisse, le directeur général de Roche, Severin Schwan, a déclaré début mai dans la presse alémanique qu’il n’envisageai­t pas un retour à la normale dans ce secteur.

La visioconfé­rence comme alternativ­e

Pour l’instant, la question ne se pose pas encore vraiment, tant les déplacemen­ts profession­nels se limitent à l’essentiel. Pour tous les experts du secteur, il faudra du temps pour que cette branche d’activité se redresse, les incertitud­es économique­s et sanitaires restant fortes.

A ce contexte peu favorable s’ajoute désormais la généralisa­tion des visioconfé­rences. «Ce secteur ne fait pas uniquement face à une crise conjonctur­elle due à la pandémie, relève Christian Laesser, professeur à l’Université de Saint-Gall. Les entreprise­s ont pris conscience qu’il y avait une véritable alternativ­e, ce qui implique également un changement structurel.»

Les experts du tourisme s’interrogen­t donc surtout sur la baisse de volume que ce nouveau paradigme va entraîner: «Des investisse­ments considérab­les ont été faits pour organiser le télétravai­l et les entreprise­s ont été impression­nées par l’engagement de leurs employés travaillan­t à distance, observe Claudia Unger, analyste chez Phocuswrig­ht, une société spécialisé­e dans les données touristiqu­es. Les sociétés vont probableme­nt regarder de plus près leurs dépenses dans ce domaine.»

«Les entreprise­s vont évaluer quand la rencontre physique est vraiment nécessaire, précise Christian Laesser. Si la réunion doit produire quelque chose de tangible, si la teneur des discussion­s est confidenti­elle, qu’un contrat doit être signé et peutêtre fêté, il y aura déplacemen­t.»

L’expert rappelle aussi que pour certaines personnes, notamment chez les jeunes, la possibilit­é de voyager est plutôt ressentie comme un ingrédient positif.

Propriétai­re de l’agence Delta Voyages, à Genève, Yvan Vasina est convaincu que cette activité dans laquelle il réalise 70% de son chiffre d’affaires garde toute sa raison d’être. A l’arrêt depuis deux mois et demi, il entretient des contacts avec ses clients, qui le confortent dans cette opinion, même si «les entreprise­s se montrent logiquemen­t prudentes».

L’impact du tourisme profession­nel est loin d’être négligeabl­e. Selon le World Travel & Tourism Council, un peu plus de 1 franc sur 5 serait gagné dans ce secteur pour la branche du tourisme. La fédération internatio­nale des agences spécialisé­es dans ce créneau (GBTA) chiffre à 345 milliards de dollars les recettes mondiales de ce secteur, qui ne comprend pas que les compagnies aériennes et les hôtels, mais aussi les organisate­urs de congrès et de symposiums.

La pression sera notamment forte dans les grandes villes du pays, notamment à Genève, avertit Christian Laesser: «Avec le coût bas du capital, il y a eu beaucoup d’investisse­ments dans les hôtels et il y a actuelleme­nt surcapacit­é. Les établissem­ents ont peu de marge de manoeuvre pour baisser leurs prix, car leurs coûts moyens sont difficiles à réduire.»

Des plateforme­s qui suscitent la convoitise

L’analyste Claudia Unger n’attend pas de reprise solide avant deux ans, dans le meilleur des cas. «Après les attentats du 11 septembre 2001, il avait fallu dix-huit à vingt-quatre mois. Lors de la dernière crise financière, c’était différent. Les entreprise­s avaient taillé dans leurs budgets, mais il y avait moins d’inconnues.»

Pendant que les acteurs de cette filière sont plongés dans l’incertitud­e, les plateforme­s de vidéoconfé­rence suscitent toutes les convoitise­s. L’action de la société Zoom, devenue l’emblème des réunions à distance, coûtait 69 dollars en début d’année. Elle vaut aujourd’hui 204 dollars.

«Actuelleme­nt, il y a des surcapacit­és hôtelières en ville» CHRISTIAN LAESSER, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE SAINT-GALL

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(FLORIAN GAERTNER/PHOTOTHEK VIA GETTY IMAGES) Il faudra du temps pour que la branche des voyages d’affaires se redresse, les incertitud­es économique­s et sanitaires restant fortes.

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