Le Temps

«Hongkong doit garder la mémoire de Tiananmen»

Pour la première fois depuis 1990, les Hongkongai­s n’auront pas le droit de se rassembler jeudi pour commémorer le massacre de Tiananmen. L’opposant Richard Tsoi refuse de voir disparaîtr­e ce pan de l’histoire chinoise

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE LABADIE, HONGKONG

RICHARD TSOI SECRÉTAIRE DE L’ALLIANCE DE SOUTIEN AUX MOUVEMENTS PATRIOTIQU­ES DÉMOCRATIQ­UES DE CHINE

«Le Parti communiste craint toujours pour son pouvoir»

La décision des autorités de Hongkong est sans précédent: invoquant des motifs sanitaires liés au Covid19, elles n'autorisent pas la veillée annuelle du 4 juin en mémoire de la tragédie de Tiananmen. L'opposition craint que l'événement ne soit banni à jamais dans la région semi-autonome. Explicatio­ns avec Richard Tsoi, secrétaire de l'Alliance de soutien aux mouvements patriotiqu­es démocratiq­ues de Chine, organisatr­ice des commémorat­ions.

Pourquoi le Printemps de Pékin et son épilogue sanglant dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 reste-t-il un sujet si sensible en Chine? Le Parti communiste craint toujours pour son pouvoir et ne supporte pas la contestati­on. Il est animé par l'obsession de garder le contrôle. A ce titre, il ne veut pas que les gens s'instruisen­t ni ne parlent de l'épisode de Tiananmen. Il essaye depuis 31 ans de dissimuler la vérité sur ce qu'il s'est passé. Il interdit des ouvrages sur le thème, censure les mots associés sur internet pour que les gens ne sachent pas que c'est lui qui a ordonné aux soldats d'ouvrir le feu. Tous ceux qui tentent de faire éclater la vérité sur les événements de 1989 sont accusés de subversion. Les «mères de Tia- nanmen», les mères d'étudiants morts ou disparus, sont encore placées sous surveillan­ce, assignées à domicile à l'approche de l'anniversai­re et empêchées de parler à des journalist­es. Leurs proches sont aussi parfois intimidés.

Pourquoi Hongkong s’est-elle faite la gardienne de cette mémoire? Hongkong se doit de rester un lieu important pour cette mémoire. En 1997, notre territoire est redevenu partie intégrante de la Chine mais avec le statut «un pays, deux systèmes». Nous avons un système différent qui garantit les libertés et les droits, et nous pouvons donc légalement commémorer Tiananmen. De ce fait, nous ne laisserons pas le gouverneme­nt chinois cacher ce pan fondamenta­l de l'histoire contempora­ine chinoise. Nous avons ouvert pour cela un petit musée en 2012, c'est un outil important pour continuer ce devoir de mémoire et rendre le Parti communiste responsabl­e de ces massacres.

Beaucoup de Hongkongai­s sont des Chinois ayant migré ou s'étant réfugiés ici, et ils connaissen­t en gros les faits. Mais la nouvelle génération en sait très peu sur ces événements, qui sont par ailleurs très peu enseignés dans les écoles. Le gouverneme­nt central a imposé ces dernières années plus d'histoire de Chine dans nos programmes et l'histoire du Printemps de Pékin n'y figure pas. Elle est abordée hors programme, selon le bon vouloir des enseignant­s. De plus, la nouvelle génération ne se considère pas chinoise. Elle ne se sent pas concernée par les luttes démocratiq­ues ou civiques de l'autre côté de la frontière. Nous essayons donc de garder un lien et de leur montrer les parallèles.

En quoi la future loi de sécurité nationale en cours d’élaboratio­n à Pékin peut-elle remettre en cause votre travail de mémoire? Les détails du texte ne sont pas connus, ni même ses modalités d'applicatio­n, et nous ne savons pas non plus quelles activités seront concrèteme­nt illégales. Le régime communiste importera-t-il ses concepts criminels peu transparen­ts à Hongkong, qui jouit de l'Etat de droit et de la présomptio­n d'innocence? Il est très probable que des militants qui se battent pour la démocratie et la fin du régime à parti unique soient une cible. Il est à craindre qu'on ne sache jamais quand et de quelle manière les autorités vont se servir de la loi pour mater des organisati­ons comme la nôtre.

Pékin ne s'est pas appuyé sur la loi fondamenta­le de Hongkong, qui prévoit un article sur la sécurité nationale. Ils ont préparé leur propre loi en contournan­t le Conseil législatif de Hongkong et vont la faire appliquer par leurs propres agents, une sorte de police secrète dotée de pouvoirs légaux. C'est le plus inquiétant. Nous essayerons de lutter contre la législatio­n, même si cela semble très difficile, et nous essayerons aussi de continuer notre travail, sans nous censurer, en cherchant des zones grises dans la loi.

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