Des armes suisses dans les mains de policiers hongkongais?
L’opposition s’insurge contre une commande présumée de pistolets lacrymogènes suisses par la police hongkongaise. Mais la société mise en cause dément toute vente à la région chinoise semi-autonome
Les «Raptors», unité d’élite de la police hongkongaise, seront-ils dans le courant du mois de juin équipés de pistolets lacrymogènes de fabrication suisse? C’est ce qu’affirment de jeunes opposants hongkongais qui ont lancé une pétition signée par plus de 57300 personnes. Faux, répond l’entreprise, qui affirme que la polémique résulte d’un quiproquo. Sur la base d’informations de la presse, les opposants ont lancé une pétition pour empêcher le déploiement de ces armes, avant même que les détails de la commande ne soient divulgués ni confirmés par les autorités.
La présumée vente incriminée porte sur des pistolets JPX4 de la société Piexon, présentés comme une arme de défense non létale destinée aux particuliers mais également utilisée pour le maintien de l’ordre. Des vidéos circulent, des Etats-Unis à l’Europe, vantant l’efficacité de l’arme, d’une portée allant jusqu’à 7 mètres et qui se veut plus précise que le taser. Elle crache une solution neutralisante qui peut aveugler la cible pendant 20 à 30 minutes. En vente en Suisse dans les commerces titulaires d’une patente de commerce d’armes, le pistolet est aussi utilisé depuis plus d’une dizaine d’années par des forces de maintien de l’ordre dans plusieurs pays. Mais à Hongkong, secouée par une contestation politique sans précédent depuis la rétrocession, et où la défiance à l’égard de la police va croissant, toute commande d’armes passe mal.
«La vente de ces armes au gouvernement hongkongais, qui à l’évidence a perdu toute crédibilité dans sa manière de gérer les manifestations l’année dernière, est en contradiction avec l’image d’une Suisse négociatrice de paix et promotrice des droits de l’homme», accusent les signataires, dont Joshua Wong, figure des manifestations de 2014. Le pistolet propulse un liquide irritant par pyrotechnie à une vitesse de 100 mètres par seconde. Or, les opposants soulignent que la police a utilisé ces derniers mois les gaz et liquides lacrymogènes à très faible distance des manifestants, et s’inquiètent donc de la dangerosité du JPX4. «Honte à la Suisse de fermer les yeux sur l’escalade de la brutalité policière», accuse la pétition, adressée au Conseil fédéral ainsi qu’au Secrétariat d’Etat à l’économie, lequel délivre les autorisations d’exportation nécessaires pour ce type d’arme.
Interrogé, le consulat général de Suisse à Hongkong a rappelé que le matériel mentionné dans la pétition n’est pas soumis aux contrôles internationaux à l’exportation, mais que le lanceur est néanmoins soumis à une licence d’exportation, car il ressemble à une arme à feu. «Aucune demande d’exportation de ces marchandises vers Hongkong n’ayant été déposée, les autorités suisses n’ont pas connaissance d’une telle transaction», écrit le consulat. L’autorité de contrôle des exportations «n’a pas délivré de permis d’exportation pour de tels lanceurs vers Hongkong», confirme le Secrétariat d’Etat à l’économie.
De son côté, Piexon réfute en bloc les accusations. La PME de 15 employés, fondée en 2000 et basée à Aarwangen (BE), affirme «n’avoir vendu aucun produit à la police de Hongkong». «Nous savons qu’il existe des copies chinoises quasi identiques de nos produits, fabriquées par des entreprises chinoises», explique Piexon par e-mail. «Nous avons scruté les dernières photos de policiers antiémeutes et n’avons pas détecté de produits ressemblant à ceux de Piexon», ajoute l’entreprise, glissant toutefois sans autre détail avoir identifié «d’autres produits de manufacture suisse» utilisés par la police de Hongkong.
Selon la PME, l’imbroglio est parti d’une photo hébergée sur le site de l’entreprise (mais qui n’a pas été prise à Hongkong) et qui a été utilisée par un média hongkongais. Alors que Joshua Wong émet l’hypothèse qu’un partenaire agréé de Piexon en Chine a pu procéder à la vente, Piexon assure que ses partenaires s’engagent à «ne pas revendre les produits en dehors de leur pays». «Nous faisons confiance à nos partenaires», conclut Piexon.
Contactée, la police hongkongaise s’est refusée à donner des détails sur les achats et le déploiement d’armes.
En février déjà, en pleine pandémie, les Hongkongais avaient appris la commande de près de 4000 combinaisons tactiques d’une société française pour plus de 5 millions de francs. La future loi de sécurité nationale imposée par Pékin sur le territoire semi-autonome fait aujourd’hui craindre au camp pro-démocratie une répression plus agressive de la part des forces de l’ordre.
Depuis le début de la révolte en juin 2019, la police n’a tué aucun manifestant et les blessés par balle se comptent sur les doigts d’une main. Mais plusieurs plaintes ont été déposées contre la police. Amnesty International s’est à plusieurs reprises alarmée des «violations généralisées des droits humains» qui ont pris la forme «d’un recours injustifié et excessif à la force comme […] l’emploi abusif de gaz lacrymogène et de gaz au poivre».
n
«Honte à la Suisse de fermer les yeux sur l’escalade de la brutalité policière»
EXTRAIT D’UNE PÉTITION D’OPPOSANTS HONGKONGAIS