Le Temps

Comment regarder un (vieux) match de football

Cinquante ans après, la RTS rediffuse dimanche une affiche mythique: Brésil-Italie, finale de la Coupe du monde 1970. Mais le football, qui aime tant se penser comme une culture, peine à revoir ses grands classiques

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re Italie-Brésil 1970 Dimanche 7 juin à 16h15 sur RTS 2. Commentair­es: Jean-Jacques Tillmann

Le dimanche 14 juin, le quart de finale de Coupe de Suisse entre le Lausanne-Sport et le FC Bâle marquera le retour du football de compétitio­n en Suisse et mettra fin à une disette de trois mois de sport en direct à la télévision. Pour les téléspecta­teurs les plus accros, le sevrage a été brutal et la prescripti­on de rediffusio­ns en guise de méthadone un échec. Les audiences ont été décevantes.

Le sport, c’est vrai, se vit surtout en direct. Aucun autre spectacle vivant ne peut offrir un tel suspens, ni ouvrir autant le champ des possibles. Il se conjugue aussi très bien au futur, l’avantmatch est à l’amateur de football ce que la montée d’escalier est à l’amoureux: une ascension vers le plaisir. Mais ces moments ont la durée de vie d’un soufflé, très vite tout retombe. On peut relire Les Misérables, ressortir régulièrem­ent Lawrence d’Arabie, alors que le football, qui aime tant se penser comme une culture, peine à revoir ses grands classiques.

La RTS persévère pourtant et propose, à partir du dimanche 7 juin, de revoir les finales de Coupe du monde. Brésil-Italie 1970 ce week-end, puis Pays-Bas-RFA 1974 le samedi 13 juin, Italie-RFA 1982 le 20 juin et Argentine-RFA 1986 le 27 juin. «Nous avions prévu de lancer à la mi-juin une série d’émissions autour de ces finales, explique Philippe von Burg, rédacteur en chef adjoint du service des sports de la RTS. Le but aurait été de présenter ces archives en les accompagna­nt, en invitant des témoins. La reprise du championna­t nous ramène à notre priorité, le direct et le local, mais puisque nos documental­istes avaient fait le travail, nous avons décidé de rediffuser ces finales.»

Six minutes perdues à Buenos Aires

La RTS, qui s’appelait TSR lorsqu’elle diffusait ces vieux matchs, n’a pas eu trop de problèmes à obtenir les droits de rediffusio­n auprès de la FIFA. De part et d’autre, il y avait la volonté de combler un vide et de faire partager ce patrimoine. La vraie difficulté fut technique. «Des archives peuvent être perdues, d’autres pas encore numérisées ou en cours de traitement, reprend Philippe von Burg. D’autres encore n’ont pas été très bien conservées. Ainsi, nous avons la finale Argentine-PaysBas de 1978 mais sans le son et la première mi-temps ne dure que 39 minutes…»

La chaîne hésite encore à diffuser ce dernier match. Mais tous seront présentés comme des morceaux d’histoire, des documents bruts livrés avec leurs imperfecti­ons. «Le Brésil-Italie a du grain, un format différent, aucun accompagne­ment graphique, pas même le chronomètr­e 1970, et la voix de Jean-Jacques Tillmann donne parfois l’impression de tourner au ralenti», prévient Philippe von

Burg, qui avoue avoir pris «un énorme plaisir à en voir quelques séquences».

Ce ne sera peut-être pas le cas des plus jeunes, habitués à une réalisatio­n plus dynamique, à la profusion de ralentis et de statistiqu­es, mais aussi aux courses dans tous les sens, aux pelouses parfaites et au gegenpress­ing. Ceux-là seraient inspirés de regarder autre chose: la puissance musculaire de Pelé (même s’il

court peu), l’abondance de dribbles, la symphonie collective sur le but de Carlos Alberto, la très grande variété de techniques de frappe et donc de trajectoir­es de balle, les permutatio­ns et les montées des latéraux, déjà. Et puis les à-côtés: la modestie des bancs, les ramasseurs de balle assis dans l’herbe, le commentate­ur qui ne craint pas de dire qu’il n’a pas bien vu.

Ce Brésil-Italie n’avait pas été considéré, à l’époque, comme une grande finale. Le Journal de Genève déplorait les trop nombreuses contestati­ons et pertes de temps, tandis que L’Equipe regrettait qu’un Brésil trop sûr de sa force ne fût jamais mis en difficulté par une Italie trop prudente. Les comptes rendus de match décrivaien­t, comme il était d’usage, la météo (temps lourd et orageux), l’état de la pelouse (touffue puis glissante) et l’arbitrage (correct dans l’ensemble). On ne rappelait plus, parce que c’était la fin du tournoi, que l’on jouait à 2800 mètres d’altitude.

Aujourd’hui, ce match est un mythe. Peut-être à cause de la retransmis­sion en couleurs (une première), mais plus sûrement parce que la plus belle équipe avait gagné, ce qui n’est pas arrivé si souvent. Brésil-Italie avait succédé à plusieurs matchs d’anthologie: Angleterre-Brésil en poule (le meilleur souvenir de Jean-Jacques Tillmann), Angleterre-Allemagne en quart de finale, puis Allemagne-Italie en demi-finale.

Brésil-Italie est le triomphe ultime de Pelé. Le plus grand joueur survole la plus grande des compétitio­ns et ça aussi, c’est rare. Seul Maradona fera aussi bien (et peut-être mieux, car dans un contexte plus difficile) en 1986, encore au Mexique. Pelé est si brillant dans cette Coupe du monde que même ses échecs éblouissen­t le monde: il manque de lober le gardien tchécoslov­aque Ivo Viktor, sa tête smashée contre l’Angleterre permet à Gordon Banks de réaliser «l’arrêt du siècle», sa feinte de corps abuse le gardien uruguayen Mazurkiewi­cz mais, trop excentré par ce magistral «grand pont», il ne parvient pas à cadrer le but vide. Marquera-t-il contre l’Italie? Ne comptez pas sur nous pour divulgâche­r.

Aujourd’hui, ce match est un mythe parce que la plus belle équipe a gagné, ce qui n’est pas arrivé si souvent

 ?? (KEYSTONE/AP PHOTO) ?? Pelé porté en triomphe par ses coéquipier­s après la victoire du Brésil en finale de Coupe du monde à Mexico en 1970.
(KEYSTONE/AP PHOTO) Pelé porté en triomphe par ses coéquipier­s après la victoire du Brésil en finale de Coupe du monde à Mexico en 1970.
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