Les visions du Suisso-Egyptien Hamid Mamdouh, qui brigue la tête de l’OMC
Le processus de sélection du futur directeur de l’Organisation mondiale du commerce a débuté lundi. Deux candidats sont déjà officiellement en lice. Le Suisso-Egyptien Hamid Mamdouh, qui a déposé sa candidature mardi, détaille sa vision
La course pour la succession de Roberto Azevêdo à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est officiellement lancée depuis lundi. Après le Mexicain Jesus Seade Kuri, un ancien directeur général du GATT, l’ancienne OMC (1989-1994), c’était au tour du Suisso-Egyptien Hamid Mamdouh de faire acte de candidature mardi. Au moins trois autres candidatures africaines se profilent: la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne ministre des Finances et des Affaires étrangères, qui a déjà brigué le poste de directrice du FMI, la Kényane Amina Mohamed, ancienne diplomate et présidente du Conseil général de l’OMC, et le Béninois Eloi Laourou, ambassadeur auprès de l’ONU à Genève.
L’Union européenne (UE) pourrait aussi aligner un candidat. Lors d’une réunion mardi, les ministres européens du Commerce n’ont pas exclu cette éventualité. Phil Hogan, le commissaire au Commerce, a confirmé son intérêt pour le poste et a affirmé qu’il était toujours en phase exploratoire. Il a tout de même brossé le profil du septième directeur de l’OMC qui, si tout va bien, entrera en fonction le 1er septembre. Il doit être une figure politique et un défenseur du multilatéralisme. Le délai pour le dépôt de candidatures échoit le 8 juillet.
Hamid Mamdouh, ancien chef de division «Services» à l’OMC, met en avant sa connaissance et son expérience. Dans une interview au Temps, il détaille les défis auxquels fera face le nouveau directeur. Il souligne la nécessité de réformer l’institution basée à Genève qui opère dans un monde totalement différent de celui de 1995, année de sa création.
Quelles sont vos relations avec la Suisse? La démission précipitée et surprise de Roberto Azevêdo et le Covid-19 ont fait que je n’ai pas pu rencontrer les autorités suisses auparavant. Mais elles me connaissent. Elles connaissent mon histoire, mon expérience et mon dévouement. Je suis très attaché à mon pays d’adoption. Ce n’est pas une question de passeport, mais de valeurs comme la neutralité, la transparence et le principe de non-discrimination. J’ai commencé à travailler au GATT (l’ancêtre de l’OMC) avec un directeur suisse en la personne de feu Arthur Dunkel. La Suisse fait partie de mon histoire et de celle de ma famille. Mes enfants ont effectué leur service militaire ici. Pour le poste de directeur de l’OMC, j’attends le soutien de la Suisse.
Vous vous présentez comme un candidat africain. Que vaut cette posture alors que ce sont les grandes puissances qui décident de nominations dans les grandes organisations? Ma candidature est portée par l’Union africaine (UA), qui s’est dit qu’aucun Africain n’a dirigé le GATT, puis l’OMC. Même s’il n’y a pas de règle écrite sur la nationalité du directeur de l’organisation, cette organisation panafricaine affirme que son tour est arrivé. En février dernier, le continent a formellement apporté son soutien à trois candidats et elle devait choisir un candidat unique à son prochain sommet qui était prévu en juillet. Covid-19 oblige, ce sommet a été renvoyé. Les trois candidats restent en lice, sauf pour l’un, qui a été remplacé par un de ses compatriotes. Cela dit, ma candidature ne repose pas exclusivement sur mon appartenance géographique. Sur quoi repose-t-elle alors? D’une part, sur ma profonde connaissance du système commercial international. Contrairement à d’autres organisations, la connaissance de détails est indispensable. Les décisions sont certes prises par les Etats, mais le directeur et son équipe doivent pouvoir les aider avec leurs connaissances des dossiers. D’autre part, sur la confiance que je peux inspirer. Les Etats savent que je n’ai pas d’agenda personnel, mais je propose de jouer le rôle d’intermédiaire pour faire converger des positions divergentes au départ.
L’OMC, qui, de toute évidence, ne remplit plus son mandat, est-elle encore pertinente? Il appartient aux Etats de faire en sorte que l’organisation puisse remplir son rôle fondamental, qui est d’assurer la stabilité et la prédictibilité de règles qui gouvernent le commerce mondial et de fournir une plateforme de résolution de conflits entre Etats. Mais dans l’immédiat, elle doit veiller à ce que les biens et services, notamment des médicaments et équipements médicaux, puissent traverser les frontières sans obstacles pour faire face à la pandémie de Covid-19.
Des Etats parlent constamment de réformes nécessaires pour l’OMC. Etes-vous du même avis? Oui, absolument oui. Parce que les conditions dans lesquelles l’OMC avait été créée en 1995 ne sont plus les mêmes en 2020. Personne ne peut ignorer les nouvelles réalités.
Lesquelles? En premier, les flux de marchandises se font désormais par la chaîne de valeur mondiale. Saucissonnée, la production est plus efficace, plus économique et plus compétitive. Mais elle doit pouvoir traverser les frontières sans obstacles. Ensuite, l’avènement de nouvelles technologies a révolutionné le commerce. Cela requiert de nouvelles règles qui respectent tant le principe du libre-échange que les préoccupations telles que la protection des données des consommateurs. Enfin, il y a eu un changement dans l’équilibre du pouvoir géopolitique, avec l’émergence de nouvelles puissances. Inévitablement, cela donne lieu à de nouvelles frictions, aussi dans le commerce international. Il appartient à l’OMC de faire converger leurs intérêts conflictuels. Les bonnes relations ne dépendent pas de comment vous vous entendez avec la partie en face, mais plutôt de comment vous négociez un consensus avec celle avec qui vous avez des différends.
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«L’avènement de nouvelles technologies a révolutionné le commerce. Cela requiert de nouvelles règles»