Le Temps

L’impact du confinemen­t sur la santé sexuelle des femmes

Malgré la mobilisati­on des profession­nels, certaines femmes n’ont pas pu bénéficier des services gynécologi­ques dont elles avaient besoin pendant le confinemen­t. Notamment les profils les plus fragiles, comme les très jeunes femmes et les migrantes

- MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

Un an après la grève des femmes du 14 juin 2019, «Le Temps» propose une série d’articles sur la mémoire de cette journée particuliè­re, sur les avancées et les reculs de l’égalité

Il y a presque un an, le 14 juin 2019, des milliers de femmes défilaient dans les rues de Suisse pour défendre leurs droits, notamment celui d’un accès libre et gratuit à la contracept­ion et à l’avortement. Entre-temps, le Covid-19 est passé par là, et les citoyennes de tout âge ont dû affronter deux mois de confinemen­t, et la menace du coronaviru­s.

Pendant ces longues semaines, leurs besoins gynécologi­ques n’ont pas diminué, qu’il s’agisse de troubles mineurs comme des mycoses vaginales, des infections urinaires, ou de questions plus urgentes telles qu’un oubli de contracept­ion, une prise en charge à la suite d’une agression sexuelle ou une interrupti­on de grossesse. Côté obstétriqu­e, les femmes enceintes ont aussi connu leur lot de soucis: pertes anormales, fausses couches, etc.

L’ONG Marie Stopes Internatio­nal (MSI), relayée par Amnesty Internatio­nal, estime que «dans les 37 pays dans lesquels elle intervient, les perturbati­ons liées au Covid-19 pourraient entraîner 3 millions de grossesses non désirées supplément­aires, 2,7 millions d’avortement­s dangereux supplément­aires et 11000 décès liés à la grossesse supplément­aires». Au Népal, en Afrique du Sud, mais aussi dans certains Etats américains comme le Texas, les interrupti­ons de grossesse ont été suspendues au motif qu’elles n’étaient pas «urgentes».

Rien de tel en Suisse: ces interventi­ons ont été maintenues dans les hôpitaux romands, où les services ont fourni un effort considérab­le pour continuer à suivre leurs patientes malgré la pandémie en mettant en place des consultati­ons à distance, mais aussi en présentiel, en pratiquant des tests Covid19 à chaque fois et en prenant des précaution­s afin d’éviter les contaminat­ions. Aux urgences gynécologi­ques et obstétrica­les des Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG), la responsabl­e Jasmine Abdulcadir a constaté une baisse de 50% des consultati­ons pendant cette période. «Certaines femmes sont allées à la pharmacie ou chez le médecin pour se faire soigner au lieu de venir chez nous, estime-t-elle. Mais les interventi­ons urgentes, elles, sont restées stables, de même que celles liées aux agressions sexuelles, ce qui montre une bonne prise en charge malgré les conditions.»

A la fondation vaudoise Profa, le responsabl­e psychosoci­al et conseiller en santé sexuelle Alain Pfammatter se montre aussi positif. Les rendez-vous sont devenus virtuels à cause de la pandémie mais, selon lui, cela n’a pas empêché les situations les plus impérieuse­s d’être encadrées. «Nous avons guidé des femmes par téléphone afin qu’elles aillent acheter un test de grossesse ou une pilule d’urgence dans des pharmacies partenaire­s», raconte-t-il. Dans certains cas, des consultati­ons médicales ont été maintenues. «Nous n’avons constaté aucun délai supplément­aire pour les demandes d’interrupti­on de grossesse», constate-t-il.

Porte close

Cela n’a pourtant pas empêché certains couacs. Après l’annonce du confinemen­t, des gynécologu­es privés ont fermé leur cabinet du jour au lendemain, laissant leurs patientes dans le désarroi, explique Monette Cherpit, conseillèr­e en santé sexuelle à l’unité de santé sexuelle et planning familial des HUG. «La première semaine, nous avons été sollicités par plusieurs femmes dans la détresse car leur gynécologu­e ne répondait plus et elles avaient besoin de contracept­ion ou de contrôle gynécologi­que, explique-t-elle. Nous les avons orientées vers d’autres services qui ont pu les prendre en charge.»

D’autres personnes, migrantes et dans le dénuement, ont également eu des problèmes pour se procurer leur pilule, qu’elles obtenaient d’ordinaire dans un autre pays et ne pouvaient pas s’acheter en Suisse par manque d’argent ou de prescripti­on. Ou qui, étrangères mais confinées en Suisse où elles étaient de passage, n’y ont pas d’assurance maladie, et ne pouvaient donc pas se faire rembourser une interrupti­on de grossesse, par exemple. Ces femmes sont souvent les mêmes que celles qui font la queue pour obtenir de l’aide alimentair­e en ces temps de crise. Pour elles, la Chaîne du Bonheur soutient un fonds, encore actif aujourd’hui.

«La Chaîne du Bonheur ne finance pas l’IVG en général, mais les situations d’urgence: celles de femmes tellement précarisée­s par la crise qu’elles ne peuvent se la payer et risquent de recourir à des moyens clandestin­s, donc dangereux. Notre soutien permet de préserver la santé de ces femmes», précise Fabienne Vermeulen, responsabl­e de programme en Suisse.

Un parcours du combattant

Au Centre hospitalie­r universita­ire vaudois (CHUV), Christine Renteria, médecin adjointe en gynécologi­e, a vu récemment arriver plusieurs femmes mal orientées durant le confinemen­t, qui souhaitaie­nt avorter mais n’ont pas pu le faire dans le délai des douze semaines de grossesse. «Cela a été le parcours du combattant pour trouver de l’aide, remarque-t-elle. Certaines n’ont pas trouvé de spécialist­e répondant à leur demande, d’autres ont été renvoyées de service en service… Il y a aussi des mineures qui ne pouvaient pas sortir de chez elles sans avouer le motif de leur consultati­on. Et des mères de famille qui gardaient leurs enfants et ne pouvaient pas s’absenter pour venir nous voir.» Dans des situations exceptionn­elles, la loi suisse autorise l’interrupti­on de grossesse après douze semaines, mais la procédure est plus lourde pour les patientes concernées.

Celles qui ont pu le faire dans les délais ont choisi majoritair­ement un avortement médicament­eux, afin d’éviter l’hospitalis­ation. Le confinemen­t les a obligées à vivre cela de leur côté, avec un accompagne­ment par des proches réduit. Dans certains cas, les femmes avaient souhaité leur grossesse, mais n’ont pas pu la poursuivre pour des raisons économique­s: tombées dans la précarité avec la crise liée au Covid-19, elles ne pouvaient pas se permettre d’avoir un enfant. Pour Christine Renteria, «pendant cette pandémie, les femmes ont payé, comme souvent, un prix très lourd».

«Pendant cette pandémie, les femmes ont payé, comme souvent, un prix très lourd»

CHRISTINE RENTERIA, MÉDECIN ADJOINTE EN GYNÉCOLOGI­E AU CHUV

Il est trop tôt pour savoir si, au niveau national, le coronaviru­s a provoqué une hausse massive des avortement­s tardifs: l’Office fédéral de la statistiqu­e ne disposera des chiffres que l’année prochaine. En Suisse romande, les centres de santé sexuelle craignaien­t d’assister à une avalanche de cas après le déconfinem­ent. Il n’en est rien pour le moment, même si plusieurs patientes sont en effet dans cette situation.

Par ailleurs, il y a aussi de bonnes nouvelles: les spécialist­es constatent une diminution des consultati­ons classiques concernant les infections sexuelleme­nt transmissi­bles ou les oublis de contracept­ion. «L’exposition aux risques était moindre, remarque Christine Renteria. Les couples nous disent qu’ils étaient trop stressés pour avoir des rapports ou n’avaient pas suffisamme­nt d’intimité pour le faire, avec tous les enfants autour.» Le retour progressif à la normale devrait là aussi voir la fréquentat­ion des consultati­ons augmenter de nouveau petit à petit.

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(CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) Dans des situations exceptionn­elles, la loi suisse autorise l’interrupti­on de grossesse après douze semaines, mais la procédure est plus lourde pour les patientes concernées.

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