Dans les étals, la révolution n’est pas encore à l’ordre du jour
CONSOMMATION Les ventes de viande ne baissent quasiment pas en Suisse. Même par habitant, la courbe est quasiment horizontale, alors que l’an dernier 76 millions d’animaux ont été abattus, un record. Les alternatives, des insectes aux céréales, peinent à se faire une place même s’il y a des changements
Sur le marché suisse de la viande et de ses alternatives, la révolution espérée par les antispécistes et les écologistes n’a pas encore eu lieu. En 2019, 76,5 millions d’animaux ont été abattus en Suisse, un record, près de neuf par personne. La consommation de viande tend à croître depuis le tournant du millénaire, là où auparavant elle diminuait. L’an dernier, 441281 tonnes de viande fraîche ont été vendues, un chiffre en recul sur un an mais en hausse depuis 2000 (381196 tonnes cette année-là).
En 2000, chaque habitant a mangé en moyenne 51,9 kg de viande, un chiffre qui tourne désormais autour des 48 kg par an. Le XXe siècle a terminé sur une chute: par habitant, 64,2 kg de viande ont été ingurgités en 1985, soit 12,3 kg de plus qu’en 2000 et, aujourd’hui, on en mange à peine 4 kg de moins qu’en 2000. Autrement dit, la conjoncture morose des années 1990 a eu un impact plus important que la question climatique sur notre rapport à la bidoche.
Dans les années 1980, on mangeait surtout du porc. Cette viande demeure privilégiée aujourd’hui, mais moins. La volaille a le vent en poupe (ce qui explique le nombre important de bêtes abattues: les poules étant plus petites, il faut en tuer plus), et la consommation de boeuf est stable. Près des deux tiers des poulets cuisinés en Suisse sont indigènes, contre un tiers en 1988. En général, plus de 80% de la viande mangée en Suisse est suisse.
Pas cher, le poulet brésilien
En 2019, la volaille importée provenait surtout du Brésil, qu’on a payée en moyenne 2,9 francs le kg contre 6,9 francs si elle venait d’Allemagne et 8,2 francs de France. Les importations de viande baissent, sauf celles de poisson.
De 1988 au tournant du siècle, la production de viande en Suisse a diminué, mais depuis elle remonte si bien qu’en 2019 on renoue à peu près avec le niveau de 1988: 478000 tonnes de poids morts en 2019 et 473000 en 1988 (la Suisse recensait alors 6,6 millions d’habitants, contre 8,6 millions aujourd’hui). La production de chair porcine et bovine est stable. Les poulets d’engraissement pullulent, par contre: de 2,87 millions en 1990, leur effectif a grimpé à 7,1 millions en 2019. Tous animaux confondus, le nombre d’exploitations diminue, celles qui demeurent sont grandes.
Les ventes d’antibiotiques destinés aux animaux chutent (69830 kg administrés en 2008; 32397 en 2018). Trop ou mal administrés, ces médicaments contribuent à la création de résistances parmi les bactéries, une menace croissante pour l’humanité.
Et les alternatives à la viande? Elles peinent à se faire une place. Parmi les céréales protéagineuses, l’épeautre mène le bal en Suisse: sa culture s’étend sur 5900 hectares, un chiffre qui a doublé en douze ans.
En 2020, 80 hectares sont dévolus à des champs de quinoa (contre 66 l’an dernier, aucune donnée antérieure), 350 ha au millet (58 en 2014), 55 ha au sarrasin (43 en 2016), 150 ha aux lentilles (83 en 2016). «Ces cultures se développent mais sur un niveau encore très bas», selon Daniel Erdin, responsable d’Agristat, l’unité des statistiques de l’Union suisse des paysans.
Un million de tonnes de quinoa ont été importées en 2019, surtout de Bolivie, contre 223000 en 2012 (année des premières données). Près de 1,4 million de tonnes de pois chiches ont été importées l’an dernier, contre 359000 en 2000. Les arrivées de lentilles (pour l’alimentation humaine) sont en légère hausse, celles de soja symboliques.
Les données sur les importations de tofu, d’insectes ou de steaks végétaux sont inconnues, car ces produits sont noyés dans des catégories douanières plus larges. On note cependant que 13,9 millions de kilos de «préparations alimentaires contenant d’autres matières grasses que celles du lait», comme le tofu, ont été importés en 2019, contre 4,3 millions en 2005.
Financiers au taquet
Depuis 2017, les grillons, les criquets migrateurs et les vers de farine sont autorisés à la vente comme denrées alimentaires, faisant de la Suisse le premier pays européen à autoriser la commercialisation d’insectes comestibles. Les entreprises du secteur se profilent mais il n’existe aucune statistique sur les ventes. Les insectes sont un marché de niche, selon les détaillants.
La Suisse fait partie des quatre pays où l’on investit le plus dans les viandes alternatives, selon l’organisation Good Food Institute. A Genève, le fonds de capital-risque Beyond Investing mise sur le secteur, tout comme Blue Horizon et Emerald Technology Ventures à Zurich, le saint-gallois Seier Capital et le tessinois U-Start. Coop a placé ses billes dans Mosa Meat, un poids lourd néerlandais de la viande cultivée, et Migros dans le producteur israélien Aleph Farms.
Les données pour cet article ont été recueillies auprès de l’Office fédéral de la statistique, des douanes, d’Agristat, de Proviande et de l’Office fédéral des affaires vétérinaires. Les chiffres remontent souvent à 1988, ce qui explique pourquoi cette année est souvent mentionnée.