«Perturbation sociale» à Wuhan en octobre
Des images satellites témoignent d’une fréquentation inhabituelle des parkings des hôpitaux de la métropole chinoise au coeur de l’automne 2019, révèlent des chercheurs de l’Université Harvard
Où et quand a émergé le SARS-CoV-2? Si l’explosion de cas a eu lieu à Wuhan fin décembre 2019, de plus en plus d’éléments suggèrent que le virus circulait plus tôt. Une étude de l’Ecole de médecine de l’Université Harvard, prépubliée lundi 8 juin avant révision par des pairs, a décelé une activité exceptionnelle autour des principaux hôpitaux de la ville à partir d’octobre 2019, dépassant les épisodes grippaux annuels. Autre élément suspect: l’explosion de recherches de mots-clés incluant des symptômes du virus sur le moteur de recherche Baidu dès la fin de l’été, et plus encore dès octobre. Des soupçons difficiles à corroborer, tant l’information sur le virus reste étroitement contrôlée en Chine.
Ces éléments pourraient nourrir l’enquête sur l’origine du virus, qui fait l’object d’un débat à la fois scientifique et politique. Les Etats-Unis ont poussé la thèse d’un accident de laboratoire à Wuhan, alors que la Chine a suggéré que le virus pourrait être apparu aux Etats-Unis et avoir été importé à Wuhan lors des Jeux militaires mondiaux, qui ont eu lieu dans la capitale du Hubei en octobre. Le premier cas connu, identifié a posteriori, a pourtant bien été détecté à Wuhan le 17 novembre.
Les chercheurs de l’Université Harvard ont utilisé des images satellitaires des parkings situés à proximité des principaux hôpitaux de Wuhan pour compter le nombre de véhicules garés, et estimer ainsi la fréquentation des établissements. La méthode a déjà fait ses preuves pour estimer l’ampleur d’épisodes grippaux en Amérique du Sud. En octobre 2019, les chercheurs ont compté de 67 à 90% de voitures de plus qu’en octobre 2018. Surtout, la courbe de fréquentation des parkings, qui ondule de manière progressive en temps normal, marque une hausse nette à partir d’octobre. «Quelque chose se passait en octobre. Clairement, il y avait un certain niveau de perturbation sociale bien avant ce qui avait été précédemment identifié comme le début de la pandémie de coronavirus», conclut le docteur John Brownstein, professeur à la Faculté de médecine de Harvard et l’un des auteurs de l’étude, cité par la chaîne américaine ABC.
Pour s’assurer que leurs données n’étaient pas polluées par des éléments extérieurs, les chercheurs ont aussi examiné le nombre de voitures garées dans d’autres points de référence de la ville. Par ailleurs, les chercheurs se sont aussi penchés sur les données du moteur de recherche dominant en Chine, Baidu, pour repérer les recherches liées aux symptômes associés au virus, principalement toux et diarrhée. S’ils admettent que les données concernant la toux varient en fonction de la saison des grippes et rhumes, ils notent une augmentation significative des recherches sur la diarrhée, un symptôme spécifique du Covid-19.
«Observations superficielles»
Ces données s’ajoutent à d’autres recherches montrant que le virus circulait bien avant d’être identifié en Chine. Un cas a ainsi été découvert a posteriori en France dès décembre, chez un patient qui n’avait pas quitté le pays. D’après une étude de l’Université de Cambridge qui tente de retracer l’origine du virus à partir de l’évolution de son génome dans différents échantillons, le virus aurait commencé à se transmettre entre humains à Wuhan ou dans le sud de la Chine entre septembre et décembre 2019. «Mais les preuves ne peuvent venir qu’en analysant plus de chauves-souris, et peutêtre d’autres animaux hôtes, et des échantillons de tissus de patients prélevés dans les hôpitaux de Wuhan entre septembre et décembre. Ce genre de recherche nous aiderait à comprendre comment le virus a émergé et nous aiderait à les empêcher dans l’avenir», déclarait Peter Forster, l’auteur principal de l’étude, le 17 avril dernier.
Problème: jusqu’ici, la Chine a verrouillé l’information sur le virus. Les médecins chinois ont reçu l’ordre de ne pas communiquer, et les recherches scientifiques sur l’origine du virus sont soumises à la censure étroite du Ministère de l’éducation et des sciences. Interrogée sur cette étude lors d’une conférence de presse quotidienne, une porte-parole du Ministère des affaires étrangères, Hua Chunying, a balayé ces conclusions: «Je pense que c’est ridicule, incroyablement ridicule, de parvenir à des conclusions à partir d’observations superficielles comme le trafic routier.»
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