Les Etats-Unis au bord du précipice institutionnel
Les funérailles de George Floyd, un Noir de 46 ans tué par un policier blanc à Minneapolis, ont eu lieu mardi à Houston. Au-delà de la tristesse de ce moment qui est loin de mettre fin au mouvement de protestation contre les violences policières, les Américains s’inquiètent de la dérive autoritaire de leur démocratie
Mardi ont eu lieu à Houston au Texas les funérailles de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, tué par asphyxie par un policier blanc à Minneapolis le 25 mai dernier. La cérémonie au cours de laquelle le leader historique des droits civiques Al Sharpton a tenu l’oraison funèbre a été célébrée dans l’intimité. Ce moment de grande tristesse qui s’est abattu sur une bonne partie des Etats-Unis n’a pas mis fin au mouvement de protestation contre les brutalités policières et le racisme systémique qui les sous-tendent. Il n’empêche pas non plus nombre d’Américains de s’interroger. Et si leur démocratie était menacée non pas par une menace extérieure, mais par la présidence Trump?
L’épisode de Lafayette Square, la place devant la Maison-Blanche où se sont rassemblées des milliers de personnes le 1er juin avant d’en être chassées par les forces de l’ordre, restera gravé dans les mémoires. Des milliers de policiers et militaires ont évacué des manifestants pacifiques au moyen de gaz lacrymogènes pour faire de la place à Donald Trump, qui se rendait à l’église St. John voisine pour une opération de communication.
L’image est d’autant plus signifiante qu’elle répond à une rhétorique présidentielle qui effraie les tenants de la démocratie, car elle est, pour eux, révélatrice d’une dérive autoritaire. Il y a quelques jours, Donald Trump parlait de la nécessité de «dominer et de reconquérir la rue», qualifiant même certains manifestants de «terroristes intérieurs». Il a menacé de lâcher les chiens contre certains d’entre eux.
Le chef de la Maison-Blanche pouvait certes invoquer l’Insurrection Act, qui l’autorise à recourir à l’armée. George Bush père l’avait fait en 1992 au moment des émeutes de Los Angeles en lien avec Rodney King. Mais, en l’occurrence, recourir à cette loi de 1807 a été jugé totalement inapproprié par des figures de l’establishment militaire dont les ex-généraux Martin Dempsey, James Mattis et Colin Powell. Un fait unique outre-Atlantique. L’armée, disent-ils, ne doit pas servir l’exécutif, mais la Constitution.
Professeure spécialiste de la Constitution à l’American University de Washington, Kimberly Wehle est très inquiète: «La manière dont Donald Trump et Bill Barr [ministre de la Justice] ont recouru à la violence contre des manifestants pacifiques est la définition parfaite de la tyrannie. La démocratie américaine est en grand danger. Elle le sera d’autant plus si la présidentielle de novembre se déroule mal.»
Chercheur à la Brookings Institution, Robert Kagan tire lui aussi la sonnette d’alarme, rappelant que les dictateurs règnent en contrôlant les ministères forts de la police, des renseignements intérieurs et extérieurs et de l’armée. Aux Etats-Unis, la tradition est que ces ministères servent le peuple américain et la Constitution, mais en aucun cas la personne qui siège au Bureau ovale. Avec Trump, la tradition a volé en éclats. Le président attaque la CIA, ainsi que le FBI, jugeant ce dernier insuffisamment loyal. Il pourrait même y mener une purge contre ceux qui ne sont pas prêts à soutenir son programme personnel et politique.
Le sénateur indépendant du Maine Angus King n’est pas dupe: «De quoi est-il [Trump] capable, se demande-t-il. Je crois qu’il est capable de tout.» D’aucuns vont jusqu’à craindre qu’il impose un jour la loi martiale si ses intérêts le requièrent.
Les «pleins pouvoirs»
Donald Trump a multiplié les tentatives de pousser les limites de ses pouvoirs. Petit à petit, subrepticement. Pour l’heure, ces essais sont surtout rhétoriques. Mais ils indiquent une dérive autoritaire. En pleine pandémie de coronavirus, il avait déclaré avoir les «pleins pouvoirs» pour dicter la marche à suivre aux 50 Etats en matière de déconfinement. Il a viré plusieurs inspecteurs généraux pour s’affranchir de toute supervision. Il refuse de fournir des documents requis par le Congrès.
«De quoi Donald Trump est-il capable? De tout, je crois»
ANGUS KING, SÉNATEUR INDÉPENDANT DU MAINE
Professeur et historien à l’Université George Washington, Matthew Dallek est catégorique: «Donald Trump […] attaque en permanence l’Etat de droit. Il abuse de l’état d’urgence, des décrets présidentiels. Avec lui, on observe un effondrement des réformes et des normes établies pour la classe politique au lendemain du Watergate. On pensait que celles-ci étaient suffisantes pour soutenir la démocratie. On s’est trompé. Face à des présidents comme Trump, un aspirant caudillo, cela ne marche plus.»
Dépitée, Kimberly Wehle le souligne: les poids et contrepoids souvent vantés comme la pierre angulaire de la démocratie américaine ne fonctionnent plus, même pas la désormais très politisée Cour suprême. «Le Congrès a abdiqué son devoir de contrôler les activités du président. Quand Donald Trump viole la loi en détournant de l’argent du Pentagone (3,8 milliards) pour financer un mur à la frontière mexicaine ou utilise les deniers publics pour financer ses enquêtes bidons en Ukraine, personne ne lui demande des comptes. Il n’est même pas sanctionné quand il fait preuve de népotisme crasse en nommant son beau-fils Jared Kushner à la tête d’une task force coronavirus, voire Rudy Giuliani pour mener des activités de politique étrangère en Ukraine. Ces deux personnes n’ont été élues par personne et ne rendent aucun compte.»
Donald Trump a enfin pris une autre habitude: nommer des personnes à des postes clés de façon intérimaire. Cela lui permet de contourner le Sénat.
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