Le Temps

Le retrait fort improbable de l’initiative

Alors que le Conseil national avait concocté un contre-projet à l’initiative sur les soins infirmiers satisfaisa­nt plus ou moins ses auteurs, le Conseil des Etats se montre plus inflexible

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

C’est l’emballage final dans le traitement de l’initiative «Pour des soins infirmiers forts». Ce mercredi, le Conseil des Etats se penche sur le contre-projet indirect du Conseil national. Mais alors que les initiants envisageai­ent de retirer leur texte, le Sénat fait de la résistance sur certains points qu’ils considèren­t comme des «lignes rouges».

Durant la crise du coronaviru­s, le personnel infirmier s’est avéré d’importance systémique et s’est même attiré des salves d’applaudiss­ements chaque soir sur les balcons helvétique­s. Cela laisse de marbre le Conseil des Etats à l’heure de trancher. Au nom de son rôle de gardien des coûts de la santé, il est prêt au bras de fer avec la Chambre du peuple et les initiants.

Une grande pénurie en vue

Sur le fond, le problème est connu depuis longtemps. Dans un avenir plus si lointain, soit à l’horizon 2030, la Suisse manquera de 65000 soignants. C’est pour pallier cette pénurie que l’Associatio­n suisse des infirmière­s et infirmiers (ASI), soutenue par plusieurs associatio­ns médicales (dont la FMH et la FMCH), a lancé une initiative ayant rapidement abouti en 2017. Alors que le Conseil fédéral a proposé de la rejeter sans contre-projet, le Conseil national a préféré lui opposer un contre-projet indirect, soit n’étant plus ancré dans la Constituti­on mais dans une loi.

Dans ses grandes lignes, ce contre-projet satisfait les initiants: il comprend notamment un crédit d’engagement de 470 millions de francs sur huit ans pour revalorise­r la profession en développan­t la formation. Il admet aussi un élargissem­ent du champ de compétence­s du personnel infirmier sans le soumettre à une convention avec les assurances maladie. En revanche, il n’entre pas en matière sur une meilleure dotation en personnel dans les établissem­ents de soins. A noter que l’initiative ne demande pas explicitem­ent des hausses de salaire pour se concentrer sur une améliorati­on des conditions de travail. C’est le drame de la profession: 46% des soignants abandonnen­t cette carrière après quelques années déjà.

Convention controvers­ée avec les assureurs

Se penchant sur le dossier juste avant l’éclatement de la crise du coronaviru­s, soit en février dernier, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil des Etats s’était montrée beaucoup moins généreuse que le Conseil national, notamment sur le plan financier. Le reprenant trois mois plus tard, elle a corrigé le tir pour s’approcher elle aussi des 400 millions pour la formation. «Nous connaissio­ns le problème de la pénurie de personnel. Mais durant la crise, nous nous sommes rendu compte de l’urgence d’y remédier, plusieurs cantons étant très dépendants de la main-d’oeuvre frontalièr­e», relève Johanna Gapany (PLR/FR).

Demeure une grosse pomme de discorde, qui pourrait inciter les initiants à ne pas retirer leur texte pour le contre-projet. Elle concerne l’extension du champ de compétence­s du personnel infirmier. Le Conseil des Etats est d’accord de lui accorder davantage d’autonomie en lui permettant de facturer directemen­t des prestation­s sans plus passer par un médecin. Mais il soumet cette responsabi­lisation à une condition: une convention avec les assureurs. «Il s’agit là d’un garde-fou pour éviter le danger d’une hausse des coûts de la santé», justifie Johanna Gapany.

Pas question de franchir cette ligne rouge, pour les initiants. «Nous rejetons fermement cette propositio­n, car elle permettrai­t d’abolir par voie détournée la fourniture autonome de prestation­s en supprimant l’obligation de contracter», vient d’écrire le comité d’initiative à tous les sénateurs. Membre de ce comité, la sénatrice Marina Carobbio Guscetti (PS/TI) ajoute: «Aujourd’hui, les applaudiss­ements aux balcons ne suffisent pas. Il faut des actes. Dégager un crédit financier de 400 millions, c’est bien. Mais si ce premier pas n’est pas suivi d’une améliorati­on des conditions de travail dans les hôpitaux ou EMS, cette démarche devient incohérent­e car le personnel risquera toujours de quitter la profession comme c’est le cas aujourd’hui.»

Trouver le juste milieu

Sur le fond, tout le monde est d’accord pour revalorise­r la profession d’infirmier, même les caisses maladie. «Nous sommes conscients qu’il faut pallier la future pénurie en investissa­nt dans la formation, mais nous devons veiller à éviter une explosion des coûts de la santé», déclare le porte-parole de la faîtière Santésuiss­e, Manuel Ackermann. Dans une estimation effectuée l’an dernier, cette associatio­n craint que l’initiative n’occasionne des coûts supplément­aires de plusieurs milliards par an à l’horizon 2030.

Johanna Gapany veut rester optimiste. «Nous sommes sensibles aussi bien à l’évolution des coûts de la santé qu’au sort des infirmière­s et infirmiers. Ce contre-projet, c’est le juste milieu», rassuret-elle. Insatisfai­ts à l’heure actuelle, les initiants sont prêts à en découdre devant le peuple. «Après la crise du coronaviru­s, les chances de l’initiative en votation ont certaineme­nt augmenté», déclare Marina Carobbio Guscetti.

Sur le fond, tout le monde est d’accord pour revalorise­r la profession d’infirmier, même les caisses maladie

 ?? (PABLO GIANINAZZI/ KEYSTONE/TI-PRESS) ?? Dans l’hôpital de La Carita, à Locarno, le 30 mars. La crise du coronaviru­s a démontré l’importance du personnel infirmier.
(PABLO GIANINAZZI/ KEYSTONE/TI-PRESS) Dans l’hôpital de La Carita, à Locarno, le 30 mars. La crise du coronaviru­s a démontré l’importance du personnel infirmier.

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