Le retrait fort improbable de l’initiative
Alors que le Conseil national avait concocté un contre-projet à l’initiative sur les soins infirmiers satisfaisant plus ou moins ses auteurs, le Conseil des Etats se montre plus inflexible
C’est l’emballage final dans le traitement de l’initiative «Pour des soins infirmiers forts». Ce mercredi, le Conseil des Etats se penche sur le contre-projet indirect du Conseil national. Mais alors que les initiants envisageaient de retirer leur texte, le Sénat fait de la résistance sur certains points qu’ils considèrent comme des «lignes rouges».
Durant la crise du coronavirus, le personnel infirmier s’est avéré d’importance systémique et s’est même attiré des salves d’applaudissements chaque soir sur les balcons helvétiques. Cela laisse de marbre le Conseil des Etats à l’heure de trancher. Au nom de son rôle de gardien des coûts de la santé, il est prêt au bras de fer avec la Chambre du peuple et les initiants.
Une grande pénurie en vue
Sur le fond, le problème est connu depuis longtemps. Dans un avenir plus si lointain, soit à l’horizon 2030, la Suisse manquera de 65000 soignants. C’est pour pallier cette pénurie que l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), soutenue par plusieurs associations médicales (dont la FMH et la FMCH), a lancé une initiative ayant rapidement abouti en 2017. Alors que le Conseil fédéral a proposé de la rejeter sans contre-projet, le Conseil national a préféré lui opposer un contre-projet indirect, soit n’étant plus ancré dans la Constitution mais dans une loi.
Dans ses grandes lignes, ce contre-projet satisfait les initiants: il comprend notamment un crédit d’engagement de 470 millions de francs sur huit ans pour revaloriser la profession en développant la formation. Il admet aussi un élargissement du champ de compétences du personnel infirmier sans le soumettre à une convention avec les assurances maladie. En revanche, il n’entre pas en matière sur une meilleure dotation en personnel dans les établissements de soins. A noter que l’initiative ne demande pas explicitement des hausses de salaire pour se concentrer sur une amélioration des conditions de travail. C’est le drame de la profession: 46% des soignants abandonnent cette carrière après quelques années déjà.
Convention controversée avec les assureurs
Se penchant sur le dossier juste avant l’éclatement de la crise du coronavirus, soit en février dernier, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil des Etats s’était montrée beaucoup moins généreuse que le Conseil national, notamment sur le plan financier. Le reprenant trois mois plus tard, elle a corrigé le tir pour s’approcher elle aussi des 400 millions pour la formation. «Nous connaissions le problème de la pénurie de personnel. Mais durant la crise, nous nous sommes rendu compte de l’urgence d’y remédier, plusieurs cantons étant très dépendants de la main-d’oeuvre frontalière», relève Johanna Gapany (PLR/FR).
Demeure une grosse pomme de discorde, qui pourrait inciter les initiants à ne pas retirer leur texte pour le contre-projet. Elle concerne l’extension du champ de compétences du personnel infirmier. Le Conseil des Etats est d’accord de lui accorder davantage d’autonomie en lui permettant de facturer directement des prestations sans plus passer par un médecin. Mais il soumet cette responsabilisation à une condition: une convention avec les assureurs. «Il s’agit là d’un garde-fou pour éviter le danger d’une hausse des coûts de la santé», justifie Johanna Gapany.
Pas question de franchir cette ligne rouge, pour les initiants. «Nous rejetons fermement cette proposition, car elle permettrait d’abolir par voie détournée la fourniture autonome de prestations en supprimant l’obligation de contracter», vient d’écrire le comité d’initiative à tous les sénateurs. Membre de ce comité, la sénatrice Marina Carobbio Guscetti (PS/TI) ajoute: «Aujourd’hui, les applaudissements aux balcons ne suffisent pas. Il faut des actes. Dégager un crédit financier de 400 millions, c’est bien. Mais si ce premier pas n’est pas suivi d’une amélioration des conditions de travail dans les hôpitaux ou EMS, cette démarche devient incohérente car le personnel risquera toujours de quitter la profession comme c’est le cas aujourd’hui.»
Trouver le juste milieu
Sur le fond, tout le monde est d’accord pour revaloriser la profession d’infirmier, même les caisses maladie. «Nous sommes conscients qu’il faut pallier la future pénurie en investissant dans la formation, mais nous devons veiller à éviter une explosion des coûts de la santé», déclare le porte-parole de la faîtière Santésuisse, Manuel Ackermann. Dans une estimation effectuée l’an dernier, cette association craint que l’initiative n’occasionne des coûts supplémentaires de plusieurs milliards par an à l’horizon 2030.
Johanna Gapany veut rester optimiste. «Nous sommes sensibles aussi bien à l’évolution des coûts de la santé qu’au sort des infirmières et infirmiers. Ce contre-projet, c’est le juste milieu», rassuret-elle. Insatisfaits à l’heure actuelle, les initiants sont prêts à en découdre devant le peuple. «Après la crise du coronavirus, les chances de l’initiative en votation ont certainement augmenté», déclare Marina Carobbio Guscetti.
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Sur le fond, tout le monde est d’accord pour revaloriser la profession d’infirmier, même les caisses maladie