Escarmouche politico-judiciaire au procès de Genève
Le premier procureur Yves Bertossa réclame des peines de 24 mois de prison avec sursis contre les trois notables les plus impliqués dans cette tromperie visant à faire payer un dommage exorbitant à une famille
Le procès de quatre notables, bien connus du monde de l’immobilier genevois, accusés d’avoir gonflé des factures et trompé les tribunaux afin d’obtenir une réparation indue garde sa tonalité polémique. Mardi, c’était au tour de l’architecte de dénoncer l’activisme du Ministère public et de regretter les conséquences de cette procédure sur sa carrière politique. Pas de quoi tourmenter le premier procureur Yves Bertossa: «Je ne peux pas croire qu’un avocat, un promoteur et un futur conseiller administratif puissent mettre sur pied une telle manigance sans réponse de la justice pénale.»
Contrat antidaté, forfait supprimé, petits arrangements financiers et répartition finale qui ne correspond en rien aux prétentions alléguées, l’architecte ne voit aucun problème au processus controversé ayant permis d’intenter une procédure civile contre l’hoirie qui avait fâché tout ce petit monde en annulant la vente d’un terrain juste avant l’obtention du permis de construire.
Nomination annulée
Par contre, l’architecte, qui était aussi conseiller administratif PDC de sa commune lorsque les procureurs ont perquisitionné les locaux de sa société, ne digère toujours pas cette enquête et ses effets sur une action politique menée, dit-il, avec passion. Défendu par Me Bertrand Reich (par ailleurs président du PLR cantonal), le prévenu explique avoir renoncé à se représenter aux dernières élections, même si les faits reprochés sont antérieurs à son accession à la mairie. Il dit avoir pris cette décision «en raison du climat actuel» et «pour ne pas faire d’ombre au parti».
Convaincu que la plaignante a voulu lui nuire en le «discréditant» et en complotant avec d’autres élus (ils habitent tous deux la même commune), l’architecte en veut aussi au Ministère public d’avoir informé le Conseil d’Etat de l’existence de cette procédure. C’était tout juste une semaine avant sa nomination à la tête d’une fondation immobilière de droit public. Exit la fondation, exit aussi la commission de l’urbanisme. «Je comprends fort bien l’obligation de dénoncer, mais je considère que le moment de ce courrier a été savamment orchestré car l’enquête était déjà en cours depuis longtemps.»
Le cauchemar de la plaignante
Encore très secouée, la plaignante, représentée par Me Véronique Mauron-Demole, évoque quant à elle un interminable cauchemar fait de promesse non tenue, de commandement de payer et de coup bas. «Je m’en veux d’avoir fait confiance à ce promoteur. Quand on lui a dit qu’on ne vendait plus le terrain, il s’est énervé, il nous a injuriés et menacés. Cela fait dix ans que je me bats pour que ma maman puisse vivre sereinement. Ce n’est pas juste. On parle de contrats et d’argent, mais derrière tout ça, il y a des êtres humains. J’ai dû hypothéquer la maison pour payer ce soi-disant dommage.»
Malmenée à l’audience, la plaignante conteste avoir résilié le contrat afin d’en conclure un autre plus avantageux ou avoir mené campagne contre le désormais ex-maire. «Lorsqu’on a pu enfin vendre une partie du terrain, l’architecte a écrit aux voisins pour tenter de les amener à faire opposition. Si ça, ce n’est pas de l’acharnement...»
Le Ministère public a également des mots sévères pour les prévenus: «Chacun joue sa partition pour se déresponsabiliser sans accabler l’autre. La réalité de cette affaire, c’est que tout a été truqué et qu’ils étaient tous au courant.» Le promoteur est certes l’initiateur de toute la combine, relève Yves Bertossa. Mais ce dernier fustige encore plus le comportement de l’architecte et de l’avocat qui ont suivi le mouvement, malgré leur position sociale, et qui ont accepté de rouler dans la farine les instances judiciaires.
«On aurait espéré un début d’autocritique mais on n’entend que des dénégations», ajoute le procureur, en réclamant des peines de 24 mois de prison avec sursis contre les trois principaux protagonistes et une peine de 10 mois avec sursis contre le dernier larron, plus dépendant économiquement du promoteur. La défense, qui aura la nuit pour recharger ses batteries, plaide ce mercredi.
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«Chacun joue sa partition pour se déresponsabiliser sans accabler l’autre. La réalité de cette affaire, c’est que tout a été truqué et qu’ils étaient tous au courant»
YVES BERTOSSA, PROCUREUR