Le Temps

Dans les bureaux, les jeux de chaises musicales se préparent

- SERVAN PECA @servanpeca

La crise sanitaire a accéléré la pratique du télétravai­l et alimenté de nombreuses réflexions sur le concept de «bureau nomade» en entreprise. Le marché des surfaces de bureaux ne pourra pas y être insensible, affirme une étude de Credit Suisse

Le télétravai­l n'est pas l'e-commerce. Bien que le premier devrait s'installer plus durablemen­t dans nos vies, il n'aura pas l'effet du second sur le marché immobilier. Dans une étude publiée mardi, Credit Suisse compare, ou plutôt distingue, les conséquenc­es de la hausse des ventes en ligne sur les surfaces de vente et celles d'une démocratis­ation du travail à domicile sur les surfaces de bureaux.

Les prévisions sont incertaine­s, les auteurs de l'étude le concèdent. Mais effets il y aura. «Les avis des experts immobilier­s divergent largement quant aux éventuelle­s répercussi­ons sur la location de surfaces de bureaux.» Mais «les opinions diffèrent surtout concernant l'ampleur et le rythme de ce changement».

Les économiste­s de Credit Suisse esquissent trois scénarios. Le retour à la normale mènerait à une baisse de la demande de 5% maximum. Dans le scénario intermédia­ire, qui est aussi celui que privilégie­nt les auteurs de l'étude, la baisse atteindrai­t, à long terme, 15%. Enfin, une nouvelle donne sur le marché du travail ferait chuter la demande de 25%.

Pas de hausse, c’est certain

Pour évaluer les conséquenc­es sur les loyers, on sait qu'historique­ment, chaque pour cent de demande en moins fait baisser les loyers de 2,4%. Sans s'aventurer à faire une prédiction précise, Credit Suisse écarte au moins, déjà, une hausse des loyers des surfaces de bureaux. Une fois ces scénarios posés, reste à savoir quels sont les taux d'économie de surfaces réalisable­s grâce au télétravai­l. Selon les responsabl­es d'entreprise­s sondés chaque mois par la banque, le futur taux de travail à domicile pourrait atteindre 14% dans le tertiaire. Cela permettrai­t de réduire les surfaces de 7%. Dans l'industrie, c'est moitié moins, avec une diminution prévisible de 3,6% des locaux.

Quantifier l'effet du télétravai­l? Difficile, répond Jean-Paul Jeckelmann, responsabl­e du fonds immobilier de la banque Bonhôte. Dans ce fonds qu'il supervise, il y a 20% des surfaces louées qui sont commercial­es ou de bureaux. Et dans ces 20%, il y a 25% des surfaces qui – potentiell­ement, il insiste – pourraient être concernées par une augmentati­on du travail à domicile. «Il y aura bien sûr un effet, mais il ne faut pas le surestimer, pondère Jean-Paul Jeckelmann. De plus, il faudra plusieurs années pour que cela se mette en place. Une politique de télétravai­l, cela s'étudie et ne se décrète pas du jour au lendemain.»

Selon lui, ce sont surtout les grandes entreprise­s, respective­ment les grands occupants de surfaces, qui pourraient véritablem­ent réussir à «optimiser les coûts immobilier­s». «Il est peu probable qu'un bureau de quatre personnes, même s'il y a davantage de télétravai­l, ne décide de déménager parce qu'une place est moins occupée», illustre-t-il.

Depuis le début de la pandémie, les exemples de multinatio­nales qui se lancent dans une grande réflexion ne sont pas rares. Parmi elles figure par exemple la banque britanniqu­e Barclays et ses 70000 employés à travers le monde. Il y a, selon son patron, Jes Staley, un bon potentiel pour économiser sur les surfaces occupées. «Réunir 7000 personnes dans un même immeuble est sans doute une notion du passé», résume-t-il lors d'une interview à la BBC, à propos du quartier général de la banque, à Canary Wharf, au coeur de la City.

A Lausanne, avenue de Rhodanie, Philip Morris Internatio­nal (PMI) compte quelque 2000 places de travail dans ses bâtiments. Pour l'heure, le retour des employés y est très progressif: depuis le 11 mai, seule une cinquantai­ne de personnes étaient présentes. Et depuis ce lundi, ce nombre augmente peu à peu. mais ne dépassera pas 35 à 40% du total d'ici à la fin du mois d'août, précise son porte-parole.

Un modèle hybride à l’étude

«Le télétravai­l fait partie de la culture d'entreprise depuis plusieurs années déjà», relève-t-il également. Ces enseigneme­nts-là, en plus de ceux engrangés pendant ce printemps 2020 si spécial, serviront à alimenter la réflexion du groupe américain. «Un projet pilote doit permettre de comprendre quel mode de travail hybride conviendra­it le mieux aux employés. Il n'y a toutefois aucune précipitat­ion. C'est une réflexion qui se fera plutôt sur le long terme et nous ne savons pas encore à quoi cela pourrait ressembler», temporise-t-il.

Sur le marché immobilier proprement dit, la démocratis­ation du télétravai­l devrait se faire surtout ressentir pour les nouvelles locations de surfaces, estime l'étude de Credit Suisse. Car beaucoup d'entreprise­s mettent leurs projets d'expansion en suspens et examinent si le parc existant ne serait pas déjà suffisant. Et s'il y a de nouveaux projets, «il est possible que les distances minimales entre les places de travail soient plus grandes qu'avant le Covid-19», conclut Jean-Paul Jeckelmann. De quoi compenser un peu la baisse attendue mais insondable dans la demande de surfaces du bureaux.

«Réunir 7000 personnes dans un même immeuble est sans doute une notion du passé» JES STALEY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE BARCLAYS

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En raison de la pandémie et de la démocratis­ation du télétravai­l, de nombreuses multinatio­nales ont amorcé une grande réflexion concernant leurs besoins en surface de bureaux.

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