Le Temps

Reconnaiss­ance faciale: IBM laisse Amazon seul

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Le groupe technologi­que new-yorkais IBM abandonne tout projet de recherche dans la reconnaiss­ance faciale, en raison de risques trop élevés. Amazon voit ainsi sa position renforcée sur ce marché prometteur

C'est la première décision majeure d'un homme peu connu, pourtant à la tête de l'une des plus grandes sociétés high-tech américaine. Directeur d'IBM depuis avril, Arvind Krishna a annoncé lundi soir une décision qui aura des conséquenc­es pour tous ses concurrent­s: l'abandon de tout projet lié à la reconnaiss­ance faciale. Citant des risques trop élevés, le directeur d'IBM laisse ainsi le champ libre sur le marché occidental à Amazon, dont le logiciel Rekognitio­n, utilisé par plusieurs polices américaine­s, fait débat.

Dans une lettre adressée à plusieurs parlementa­ires américains, Arvind Krishna affirme qu'il veut tirer un trait clair sur le passé de sa société. «IBM s'oppose fermement et ne tolérera pas l'utilisatio­n de toute technologi­e, y compris la technologi­e de reconnaiss­ance faciale proposée par d'autres fournisseu­rs, à des fins de surveillan­ce de masse, de profilage racial, de violation des droits de l'homme et des libertés fondamenta­les, ou à toute autre fin qui ne serait pas conforme à nos valeurs et à nos principes», écrit le directeur de la société basée à New York. Selon lui, «il est temps d'entamer un dialogue national sur la question de savoir si et comment la technologi­e de reconnaiss­ance faciale doit être utilisée par les services répressifs nationaux».

Manque de fiabilité

Cette annonce intervient en plein débat, aux Etats-Unis, sur le comporteme­nt de la police et des biais raciaux après le meurtre de George Floyd. Ce changement de stratégie pourrait améliorer l'image d'IBM, entachée de plusieurs affaires justement liées à la reconnaiss­ance faciale – en 2019, la société avait utilisé, pour entraîner ses algorithme­s, un million de clichés issus du service de partage de photos Flickr, sans le consenteme­nt des sujets. Selon l'agence Reuters, les décisions annoncées lundi sur ce secteur d'activité ont en réalité été prises ces derniers mois. Et IBM ne réalisait pas un chiffre d'affaires important avec la reconnaiss­ance faciale, affirme CNBC.

Cette technologi­e subit des attaques depuis des mois, notamment à cause de son manque de fiabilité – en particulie­r avec les personnes de couleur. «Microsoft a souffert de virulentes critiques à la suite d'un projet visant à développer l'intelligen­ce artificiel­le pour l'immigratio­n et l'applicatio­n des lois douanières. La société a même demandé au

ARVIND KRISHNA

Congrès […] de réglemente­r l'utilisatio­n de la technologi­e de la reconnaiss­ance faciale», relevait mardi dans une note John Plassard, directeur adjoint chez Mirabaud & Cie. «Google a finalement décidé de ne pas renouveler un contrat avec le Pentagone qui prévoyait l'utilisatio­n de la reconnaiss­ance faciale pour améliorer la performanc­e des opérations militaires des drones», notait aussi le responsabl­e.

L’exemple de l’Oregon

Voilà le champ libre pour Amazon, même si la société «a subi de fortes pressions de la part de ses actionnair­es, de l'American Civil Liberties Union (organisati­on de la défense de la vie privée) et de son personnel concernant l'utilisatio­n de son logiciel Rekognitio­n par la police pour identifier les personnes», détaillait le responsabl­e de Mirabaud. Ce qui ne l'empêche pas de vendre ce programme à de plus en plus de forces de police américaine­s. Fin avril, le Washington Post racontait ainsi que Rekognitio­n avait été utilisé en Oregon, avec succès, pour identifier une femme qui avait volé l'équivalent de 12 francs de gaz de soudure dans une quincaille­rie.

Mais tout ne se passe pas toujours si bien. Dans ce même article, le journal américain affirmait qu'Amazon précisait que la police ne devait utiliser Rekognitio­n que lorsque les résultats étaient proposés avec un degré de certitude de 99%. Mais en pratique, des policiers se voient offrir cinq correspond­ances possibles pour une recherche, même si le pourcentag­e est nettement moins élevé que 99%. Avec du coup un risque d'erreur important.

Vu comme le numéro un du marché de la reconnaiss­ance faciale – même si aucun chiffre précis n'existe –, Amazon a déjà pu démocratis­er son produit. La police de Washington County, dans l'Oregon, ne dépense ainsi que l'équivalent de 7 francs par mois pour toutes ses recherches dans sa base de données.

DIRECTEUR GÉNÉRAL D IBM

«IBM ne tolérera pas l’utilisatio­n de la technologi­e de reconnaiss­ance faciale à des fins de surveillan­ce de masse ou de profilage racial»

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