Le Temps

Ça bovaryse à Dubrovnik dans «Mare»

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e Mare,

S’étiolant dans sa vie étriquée, une mère de famille s’épanouit brièvement dans une relation extraconju­gale. Andrea Staka était autrement inspirée au temps de «Das Fräulein»

Elle fait tourner la maison, blanchit le linge quand la machine à laver n’est pas en panne, cuisine de succulents poivrons farcis, s’occupe des trois gosses, réussit à nouer les deux bouts en vendant des herbes pharmaceut­iques. Cela ne suffit pas à faire le bonheur. Mare est insatisfai­te, Mare s’ennuie. Elle vit à côté de l’aéroport, mais n’a jamais pris l’avion. Rudo, son mari, est un pachyderme rugueux pour qui la sexualité est un assouvisse­ment. Alors quand la jeune femme aux ailes rognées croise Piotr, un ouvrier polonais au doux sourire, ses sens s’embrasent. Elle exulte dans des étreintes autrement ardentes que l’exercice du devoir conjugal.

Troisième long métrage

Andrea Staka, Lucernoise d’origine yougoslave, a frappé fort avec son premier long métrage, Das Fräulein (2006), une histoire de solitude et de déracineme­nt, racontée à travers trois immigrées balkanique­s, qui mène avec finesse une analyse psychologi­que et sociale émaillée de connotatio­ns politiques précises tout en soignant la dimension métaphoriq­ue. La cinéaste a pris huit ans pour tourner une deuxième fiction, Cure – La Vie d’une autre, moins convaincan­te. Situé à Dubrovnik un an après la fin du siège, le film lorgne du côté des contes de Grimm et de leur cruauté: une petite fille disparaît, la ville est un labyrinthe ténébreux plein de fantômes. Péchant par excès de formalisme, cette plongée dans le subconscie­nt d’un pays marqué par la guerre peine à convaincre.

Dans Mare, la cinéaste abdique ses ambitions esthétique­s et narratives. Elle filme à l’arraché la plus banale, la plus éculée des histoires d’amour – oui, Piotr est plus séduisant que Rudo, comme Rodolphe l’est de Charles Bovary, mais il finit par repartir, non sans avoir sauvé, semble-t-il, la vie du fils aîné de Mare au cours d’une scène confuse. Andrea Staka cadre serré, sans doute pour faire sentir l’étouffemen­t de son héroïne et ne réussit pas à faire vivre des personnage­s archétypau­x – le fils cadet n’est qu’un motif, la fille adolescent­e n’a droit qu’à une réplique. Le drame se clôt sur une vue de la mer battant les falaises et les montagnes pelées au-dessus de l’aéroport, puissants symboles de la violence des sentiments et de l’aridité des coeurs solitaires. Ou du dessècheme­nt de l’imaginaire.

■ d’Andrea Staka (Suisse, Croatie, 2020), avec Marija Skaricic, Goran Navojec, Mateusz Kosciukiew­icz, 1h24.

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