Emma, entremetteuse d’un autre siècle
L’Américaine Autumn de Wilde adapte la Britannique Jane Austen en mettant parfaitement en évidence sa modernité
Le mariage n’est pas fait pour elle, affirme Emma Woodhouse. Elle est non seulement trop indépendante, mais également trop attachée à son père, qui vit reclus depuis son veuvage. La jeune femme préfère être là pour les autres. Sûre de ses capacités d’entremetteuse, elle aime se réjouir à l’idée de former des couples, de réunir des âmes esseulées qui ne voyaient pas que le grand amour était là, sous leurs yeux.
Emma, c’est l’héroïne titre d’un roman publié en 1815 par Jane Austen. Et c’est aussi, cette année, le premier long métrage d’Autumn de Wilde, une photographe et «clippeuse» connue pour son travail auprès du gratin du rock alternatif américain, d’Elliott Smith à The White Stripes en passant par Beck, Built to Spill ou Wilco. Sur le papier, cette association entre une autrice profondément britannique et une artiste absolument newyorkaise avait de quoi surprendre. Au final, la manière dont la cinéaste joue avec les couleurs pastel tout en chorégraphiant chaque séquence comme si elle mettait justement en scène une vidéo musicale, a quelque chose de délicieux, d’à la fois moderne et suranné.
Irrésistible marivaudage
Son film s’intitule Emma., avec un point final, car en anglais «period» est un terme qui définit autant cette marque de ponctuation que les films d’époque («period movie»). On y suit donc l’entregent de Miss Woodhouse, qui après avoir marié sa gouvernante, au grand désespoir de son père, va se mettre en tête de faire convoler en justes noces Harriet, une orpheline qu’elle a prise comme confidente et dame de compagnie, et le pasteur du village, promesse d’une élévation sociale. Or l’homme de foi s’est épris d’Emma, tandis que Harriet est courtisée par un paysan. A partir de là va se mettre en place un irrésistible marivaudage jouant sur le comique de situation et les non-dits.
Loin des adaptations scolaires que la littérature classique a trop souvent engendrées, de Wilde fait du roman de Jane Austen une comédie de moeurs enlevée ayant comme pivot un personnage de femme forte mais pétrie de contradictions. Si elle revisite le texte pour en mettre en évidence les aspects les plus contemporains, elle ne cherche néanmoins pas à totalement réécrire l’histoire sous le seul prisme du féminisme.
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Sur le papier, cette association entre une autrice profondément britannique et une artiste absolument new-yorkaise avait de quoi surprendre
VV Emma., d’Autumn de Wilde (GrandeBretagne, 2020), avec Anya Taylor-Joy, Mia Goth, Johnny Flynn, Bill Nighy, 2h04.