Le Temps

La loi sur le CO2 n’a pas droit à l’échec

- BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

Eclipsé par le coronaviru­s, le débat sur la contributi­on que peut apporter la Suisse à la protection de la planète redémarre enfin. La révision de la loi sur le CO2 reprend son cours normal. Les données n’ont pas changé. Le réchauffem­ent climatique est toujours une réalité et la Suisse est très concernée. Château d’eau du continent, elle est confrontée à la fonte des glaciers qui l’irriguent, laissant s’échapper des pans entiers de ces rochers qu’ils enserraien­t naguère.

La nécessité d’agir n’est pas contestée, sauf par une frange d’élus conservate­urs, qui, regroupés autour de l’UDC, ne manqueront pas d’exiger un référendum. Le vote populaire aura lieu en 2021, dans un possible contexte de crise économique et de chômage. Cela exige de trouver les bons instrument­s, ceux qui influencer­ont les changement­s de comporteme­nt de la société et pourront être acceptés par elle.

N’en déplaise aux impatients, on ne peut pas agir par le droit d’urgence comme on l’a fait pour conjurer la crise sanitaire. Ce serait contraire au fonctionne­ment de la démocratie.

Il y a une autre différence à prendre en compte. Le coronaviru­s a mis l’économie et les sources de revenus à l’arrêt; il faut réamorcer la machine au plus vite. La lutte contre le réchauffem­ent climatique exige, elle, la transforma­tion de l’économie afin de la rendre durablemen­t plus verte; cela prend plus de temps.

Lorsque la loi sur le CO2 sera soumise au verdict du peuple, il sera impératif qu’un oui sorte des urnes. Il faudra faire accepter par la majorité de la population le renchériss­ement du chauffage et des carburants (accessoire­ment des billets d’avion, mais cela semble désormais secondaire car s’il est un domaine où la crise sanitaire laissera des traces, c’est bien celui de l’utilisatio­n du ciel).

Certes, les taxes prévues ont une vertu incitative: elles ont pour but de convaincre la population de renoncer au mazout et de délaisser la voiture au profit des transports publics et de la mobilité douce. Mais ce qui semble simple sur le papier ne l’est pas toujours dans la réalité, surtout dans les régions périphériq­ues. La loi sur le CO2 doit en tenir compte. Elle trace la voie et sera suivie d’autres étapes, aiguillonn­ées par l’initiative populaire pour les glaciers.

Des sacrifices et des changement­s de comporteme­nt qui ne vont pas de soi

Après l’avoir refusée en 2018, la Chambre du peuple adopte la loi sur le CO2, qui prévoit d’augmenter la taxe sur les combustibl­es et d’en introduire une sur les billets d’avion. Les carburants coûteront aussi plus cher

La loi sur le CO2 est sauvée des eaux. Après le Conseil des Etats, le Conseil national a repêché le projet législatif dont il avait, dans son ancienne compositio­n, provoqué le naufrage en décembre 2018. Au terme de treize heures de débats, durant lesquelles 90 propositio­ns d’amendement ont été traitées, la loi a été acceptée par 135 voix contre 59. Une fois que les deux Chambres auront réglé les derniers détails cet automne, elle sera combattue par référendum: l’UDC, qui rejette cette loi climatique, exigera un vote populaire. Celui-ci devrait avoir lieu durant le premier semestre de 2021.

La nouvelle loi a pour but d’inciter les Suissesses et les Suisses à modifier certaines de leurs habitudes. «C’est un projet libéral, décentrali­sé, qui permet à la population d’adapter son comporteme­nt», affirme le rapporteur de la commission de l’environnem­ent, Roger Nordmann (PS/VD). Elle comprend toute une panoplie de mesures.

Mobilité individuel­le

Le projet ne prévoit pas d’étendre la taxe sur le CO2 aux carburants. Elle impose en revanche des valeurs cibles aux véhicules neufs. Elle oblige les importateu­rs à compenser une partie des émissions de CO2. Cela implique une majoration du prix des carburants de 10 centimes par litre au maximum jusqu’en 2024, de 12 centimes par litre à partir de 2025. Il n’est pas sûr que ces maxima seront appliqués. La conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga souligne que, aujourd’hui, un supplément de 1,5 centime est prélevé sur chaque litre vendu alors que le maximum légal est de 5 centimes. Soucieux des conséquenc­es de ce prélèvemen­t pour les habitants des régions de montagne, Philipp Bregy (PDC/VS) aurait voulu limiter la hausse maximale à 10 centimes alors que Christian Wasserfall­en (PLR/BE), appuyé par l’UDC, se serait contenté de 8 centimes.

Chauffage

La taxe incitative sur le CO2 prélevée sur les combustibl­es depuis 2008 «est bien acceptée», résume Simonetta Sommaruga. Deux tiers des recettes sont redistribu­ées à la population par les primes d’assurance maladie et aux entreprise­s via les caisses de compensati­on. Le dernier tiers (450 millions au maximum) sert à financer des programmes d’assainisse­ment des bâtiments. Cette stratégie va se poursuivre. Mais le plafond de la taxe va être relevé de 120 francs à 210 francs par tonne de CO2. Actuelleme­nt, le montant réellement prélevé est de 96 francs par tonne. L’objectif est d’inciter davantage de propriétai­res à assainir leurs immeubles et à remplacer les combustibl­es fossiles par des chauffages plus écologique­s. L’UDC a vainement tenté d’en rester à 120 francs.

Entreprise­s et secteur financier

Depuis 2008, les grandes entreprise­s consommant beaucoup d’énergie peuvent être exonérées de la taxe CO2 si elles font des efforts de réduction des émissions nocives. Cette possibilit­é doit être étendue à toutes les entreprise­s, estime le Conseil national. Le projet demande par ailleurs à la Finma et à la BNS de rendre compte périodique­ment des risques financiers résultant du changement climatique. Christophe Clivaz (Verts/VD) aurait voulu obliger les acteurs du secteur financier à «verdir» leur stratégie d’investisse­ment. Il a échoué de peu.

Billets d’avion

Le projet de taxe sur les billets d’avion devient réalité. Le Conseil national confirme l’option retenue par le Conseil des Etats. Un supplément de 30 à 120 francs selon le type de trajet sera prélevé sur le prix des billets. Les passagers en transit ou en transfert ne sont pas concernés. Une solution concertée avec la France et l’Allemagne devra être appliquée à l’EuroAirpor­t internatio­nal de Bâle-Mulhouse. La majorité estime que cette taxe doit être maintenue malgré la crise que traverse la branche de l’aviation, qui laissera des traces. «On ne peut plus prendre l’avion comme on prend l’autobus. Sur les distances courtes, il faut désormais favoriser le train», résume, au nom de la commission, Roger Nordmann. Les Verts auraient voulu relever le plafond pour la classe business, mais cette requête a été rejetée. L’aviation d’affaires n’échappera pas à l’impôt vert. Il se situera entre 500 et 5000 francs selon la taille de l’appareil. Delphine Klopfenste­in Broggini (Verts/VD) a vainement demandé que le maximum soit porté à 20000 francs.

Fonds pour le climat

Malgré l’opposition de l’UDC, le fonds pour le climat verra le jour. Il sera alimenté par le tiers des recettes de la taxe sur les combustibl­es affecté à l’assainisse­ment des bâtiments, par 49% du supplément sur les billets d’avion et par une partie du produit des sanctions imposées aux importateu­rs de voitures. Cet argent financera des mesures de prévention contre les dommages causés par le dérèglemen­t climatique et de réduction de la consommati­on d’énergie.

La nouvelle loi a pour but d’inciter les Suissesses et les Suisses à modifier certaines de leurs habitudes

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