La loi sur le CO2 n’a pas droit à l’échec
Eclipsé par le coronavirus, le débat sur la contribution que peut apporter la Suisse à la protection de la planète redémarre enfin. La révision de la loi sur le CO2 reprend son cours normal. Les données n’ont pas changé. Le réchauffement climatique est toujours une réalité et la Suisse est très concernée. Château d’eau du continent, elle est confrontée à la fonte des glaciers qui l’irriguent, laissant s’échapper des pans entiers de ces rochers qu’ils enserraient naguère.
La nécessité d’agir n’est pas contestée, sauf par une frange d’élus conservateurs, qui, regroupés autour de l’UDC, ne manqueront pas d’exiger un référendum. Le vote populaire aura lieu en 2021, dans un possible contexte de crise économique et de chômage. Cela exige de trouver les bons instruments, ceux qui influenceront les changements de comportement de la société et pourront être acceptés par elle.
N’en déplaise aux impatients, on ne peut pas agir par le droit d’urgence comme on l’a fait pour conjurer la crise sanitaire. Ce serait contraire au fonctionnement de la démocratie.
Il y a une autre différence à prendre en compte. Le coronavirus a mis l’économie et les sources de revenus à l’arrêt; il faut réamorcer la machine au plus vite. La lutte contre le réchauffement climatique exige, elle, la transformation de l’économie afin de la rendre durablement plus verte; cela prend plus de temps.
Lorsque la loi sur le CO2 sera soumise au verdict du peuple, il sera impératif qu’un oui sorte des urnes. Il faudra faire accepter par la majorité de la population le renchérissement du chauffage et des carburants (accessoirement des billets d’avion, mais cela semble désormais secondaire car s’il est un domaine où la crise sanitaire laissera des traces, c’est bien celui de l’utilisation du ciel).
Certes, les taxes prévues ont une vertu incitative: elles ont pour but de convaincre la population de renoncer au mazout et de délaisser la voiture au profit des transports publics et de la mobilité douce. Mais ce qui semble simple sur le papier ne l’est pas toujours dans la réalité, surtout dans les régions périphériques. La loi sur le CO2 doit en tenir compte. Elle trace la voie et sera suivie d’autres étapes, aiguillonnées par l’initiative populaire pour les glaciers.
Des sacrifices et des changements de comportement qui ne vont pas de soi
Après l’avoir refusée en 2018, la Chambre du peuple adopte la loi sur le CO2, qui prévoit d’augmenter la taxe sur les combustibles et d’en introduire une sur les billets d’avion. Les carburants coûteront aussi plus cher
La loi sur le CO2 est sauvée des eaux. Après le Conseil des Etats, le Conseil national a repêché le projet législatif dont il avait, dans son ancienne composition, provoqué le naufrage en décembre 2018. Au terme de treize heures de débats, durant lesquelles 90 propositions d’amendement ont été traitées, la loi a été acceptée par 135 voix contre 59. Une fois que les deux Chambres auront réglé les derniers détails cet automne, elle sera combattue par référendum: l’UDC, qui rejette cette loi climatique, exigera un vote populaire. Celui-ci devrait avoir lieu durant le premier semestre de 2021.
La nouvelle loi a pour but d’inciter les Suissesses et les Suisses à modifier certaines de leurs habitudes. «C’est un projet libéral, décentralisé, qui permet à la population d’adapter son comportement», affirme le rapporteur de la commission de l’environnement, Roger Nordmann (PS/VD). Elle comprend toute une panoplie de mesures.
Mobilité individuelle
Le projet ne prévoit pas d’étendre la taxe sur le CO2 aux carburants. Elle impose en revanche des valeurs cibles aux véhicules neufs. Elle oblige les importateurs à compenser une partie des émissions de CO2. Cela implique une majoration du prix des carburants de 10 centimes par litre au maximum jusqu’en 2024, de 12 centimes par litre à partir de 2025. Il n’est pas sûr que ces maxima seront appliqués. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga souligne que, aujourd’hui, un supplément de 1,5 centime est prélevé sur chaque litre vendu alors que le maximum légal est de 5 centimes. Soucieux des conséquences de ce prélèvement pour les habitants des régions de montagne, Philipp Bregy (PDC/VS) aurait voulu limiter la hausse maximale à 10 centimes alors que Christian Wasserfallen (PLR/BE), appuyé par l’UDC, se serait contenté de 8 centimes.
Chauffage
La taxe incitative sur le CO2 prélevée sur les combustibles depuis 2008 «est bien acceptée», résume Simonetta Sommaruga. Deux tiers des recettes sont redistribuées à la population par les primes d’assurance maladie et aux entreprises via les caisses de compensation. Le dernier tiers (450 millions au maximum) sert à financer des programmes d’assainissement des bâtiments. Cette stratégie va se poursuivre. Mais le plafond de la taxe va être relevé de 120 francs à 210 francs par tonne de CO2. Actuellement, le montant réellement prélevé est de 96 francs par tonne. L’objectif est d’inciter davantage de propriétaires à assainir leurs immeubles et à remplacer les combustibles fossiles par des chauffages plus écologiques. L’UDC a vainement tenté d’en rester à 120 francs.
Entreprises et secteur financier
Depuis 2008, les grandes entreprises consommant beaucoup d’énergie peuvent être exonérées de la taxe CO2 si elles font des efforts de réduction des émissions nocives. Cette possibilité doit être étendue à toutes les entreprises, estime le Conseil national. Le projet demande par ailleurs à la Finma et à la BNS de rendre compte périodiquement des risques financiers résultant du changement climatique. Christophe Clivaz (Verts/VD) aurait voulu obliger les acteurs du secteur financier à «verdir» leur stratégie d’investissement. Il a échoué de peu.
Billets d’avion
Le projet de taxe sur les billets d’avion devient réalité. Le Conseil national confirme l’option retenue par le Conseil des Etats. Un supplément de 30 à 120 francs selon le type de trajet sera prélevé sur le prix des billets. Les passagers en transit ou en transfert ne sont pas concernés. Une solution concertée avec la France et l’Allemagne devra être appliquée à l’EuroAirport international de Bâle-Mulhouse. La majorité estime que cette taxe doit être maintenue malgré la crise que traverse la branche de l’aviation, qui laissera des traces. «On ne peut plus prendre l’avion comme on prend l’autobus. Sur les distances courtes, il faut désormais favoriser le train», résume, au nom de la commission, Roger Nordmann. Les Verts auraient voulu relever le plafond pour la classe business, mais cette requête a été rejetée. L’aviation d’affaires n’échappera pas à l’impôt vert. Il se situera entre 500 et 5000 francs selon la taille de l’appareil. Delphine Klopfenstein Broggini (Verts/VD) a vainement demandé que le maximum soit porté à 20000 francs.
Fonds pour le climat
Malgré l’opposition de l’UDC, le fonds pour le climat verra le jour. Il sera alimenté par le tiers des recettes de la taxe sur les combustibles affecté à l’assainissement des bâtiments, par 49% du supplément sur les billets d’avion et par une partie du produit des sanctions imposées aux importateurs de voitures. Cet argent financera des mesures de prévention contre les dommages causés par le dérèglement climatique et de réduction de la consommation d’énergie.
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La nouvelle loi a pour but d’inciter les Suissesses et les Suisses à modifier certaines de leurs habitudes