Un oiseau miniature en os brûlé, vieux de 13500 ans, exhumé en Chine
Exhumée d’un site archéologique de la province du Henan, une ministatuette représentant un passereau noir constituerait le plus ancien objet d’art chinois connu
Drôle d’oiseau, en vérité. Il nichait, incognito, dans les sous-sols chinois. De la tête à la queue, il ne mesure qu’un centimètre et demi. Mais son chant symbolique porte haut. Exhumée de la préhistoire, cette figurine est la plus ancienne oeuvre d’art jamais découverte en Chine.
Ce Lilliput ailé a été minutieusement sculpté dans l’os d’un mammifère, il y a 13500 ans environ. «L’artiste était probablement un homme moderne qui portait quelques gènes de l’homme de Denisova. Quand il est arrivé en Chine, il y a plus de 80000 ans, Homo sapiens s’est en effet croisé avec cette espèce aujourd’hui éteinte», raconte Francesco d’Errico, du CNRS à l’Université de Bordeaux (France), qui publie cette découverte internationale dans la revue PLOS One le 10 juin.
Cet artiste préhistorique appartenait à un peuple de chasseurs-cueilleurs adaptés à un climat froid. Un peuple nomade – d’où sans doute la petite taille de l’oiseau – déjà connu pour son habileté à produire des outils en pierre finement taillés, des harpons en os, des aiguilles à chas, des perles en oeuf d’autruche, des coquillages d’eau douce transformés en parures, des habits ajustés.
Rare curiosité
Cette statuette, en réalité, a été mise au jour en 2005, sur un site archéologique de la province du Henan, connue pour être le berceau de la civilisation chinoise. Les chercheurs l’ont découverte en tamisant les déblais d’un puits foré en 1958. D’où un problème de datation. «Nous ne l’avons pas directement datée au carbone 14: il aurait fallu en prélever la moitié. Vu sa valeur, cela nous aurait valu 10 ans de prison!» s’amuse Francesco d’Errico. En revanche, les chercheurs chinois ont daté au carbone 14 de nombreux fragments d’os brûlés associés à la figurine. Verdict: cet oiseau aurait été façonné il y a 13800 à 13000 ans.
Autre curiosité: d’un brun foncé très uniforme, tirant sur le noir, cette miniature a été sculptée sur un os brûlé. «Nous pensons que cet os a été volontairement brûlé pour noircir et durcir cet objet», indique Francesco d’Errico. Pour cela, les hommes préhistoriques ont fait cuire l’os graduellement, tout en le couvrant de matière organique pour réduire l’apport en oxygène.
Mais ce qui rend ce petit oiseau si précieux, aux yeux des spécialistes, ce sont deux autres singularités. Les premiers comportements symboliques humains remontent à 100000 ans au moins. Ce sont, pour l’essentiel, des objets de parure non sculptés, des pigments et des gravures abstraites. Les plus anciennes figurines animales ou humaines connues, elles, datent d’il y a 40000 ans. Sculptées dans de l’ivoire de mammouth, elles ont été trouvées en Allemagne (Jura souabe). Mais ailleurs? En Chine, en Inde, en Afrique? Jusqu’ici, on n’y avait pas trouvé de statuettes animales datant du paléolithique (il y a plus de 12000 ans). Ce bel oiseau est donc une rareté: sa découverte recule de plus de 8500 ans l’origine de la sculpture en Asie de l’Est.
Maîtrise technique
Autre attrait: au plan stylistique et technique, la statuette diffère radicalement des autres sculptures trouvées en Europe de l’Ouest et en Sibérie. Pour faire tenir debout son oiseau, l’artiste lui a façonné un mini-piédestal, au lieu de lui sculpter des pattes. Une tradition artistique inconnue jusqu’alors. «Par ailleurs, la queue de ce passereau est bien plus grande que la normale. Il s’agissait de garantir son équilibre. Sinon, l’oiseau serait tombé sur la tête», explique Francesco d’Errico.
Cette figurine peut sembler rudimentaire. Elle témoigne pourtant d’une étonnante maîtrise des techniques de sculpture. A l’aide de techniques d’analyse microscopique, les chercheurs ont reconstitué en détail le processus de fabrication. Au total, l’artiste a laissé 68 microfacettes sur l’os. Il a su choisir les outils adaptés et les utiliser en alternance, combinant quatre techniques: rabotage (pour le piédestal et la gorge de l’oiseau), abrasion, raclage et incision (pour l’oeil).
«L’étonnant est de voir l’habileté de l’artiste à produire un objet aussi petit, sur un matériau plutôt difficile à travailler», estime Francesco d’Errico. Quant au rôle de cette statuette, mystère et boule de gomme. Non perforée, ce n’était pas un objet de parure. «Peut-être était-elle utilisée avec d’autres objets pour prédire le futur ou soigner les malades, comme faisaient les chamans de Sibérie», avance Francesco d’Errico.
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De la tête à la queue, il ne mesure qu’un centimètre et demi. Mais son chant symbolique porte haut