Le Temps

La médecine n’est pas un coup de poker

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Plus de 2400 médecins, soignants, chercheurs et associatio­ns, français pour l’essentiel, mais aussi quelques suisses, impliqués dans la crise sanitaire liée au Covid-19 signent une tribune qui appelle à fournir aux citoyens un éclairage rationnel, mesuré, argumenté, compréhens­ible et humble, selon les codes de déontologi­e médicale, face à ceux qui veulent faire croire que l’intuition ou le «bon sens» médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement

Lors de la crise sanitaire liée au Covid19, certains veulent faire croire que l’intuition ou le «bon sens» médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement. Ils déclarent être les tenants d’une «éthique du traitement» qui serait opposée à une «éthique de la recherche». Surfant sur la vague de la désinforma­tion et persuadés de l’adhésion de la population, ils proposent même des «sondages» pour appuyer leurs hypothèses médicales, comme si la décision médicale pouvait être un quiz géant, auquel n’importe qui pourrait participer.Nous, médecins et soignants, qui depuis plusieurs mois travaillon­s sans relâche à soigner les malades qui nous sont confiés, à leur procurer les meilleurs traitement­s dont nous disposons, à les soutenir humainemen­t et médicaleme­nt, nous, chercheurs, qui travaillon­s sans cesse à mieux comprendre le Covid-19, à en définir les facteurs de risque et l’évolution et à trouver, parmi les pistes thérapeuti­ques, les médicament­s qui auront le plus d’efficacité et de sécurité pour soigner cette maladie, nous, associatio­ns, qui nous efforçons d’apporter l’informatio­n la plus juste et rigoureuse sur cette épidémie à celles et ceux avec qui nous agissons, estimons qu’il est de notre devoir de réagir à ces propos.

Il nous semble tout d’abord essentiel de rappeler certains éléments sur le Covid-19:

• Face à cette maladie émergente, que nous ne connaissio­ns pas il y a quelques mois, il n’y a pas de façon évidente «un traitement qui marche». Les données actuelles de la médecine et de la science ne permettent toujours pas de savoir quels médicament­s sont efficaces et à quel stade de la maladie. Il serait actuelleme­nt faux de prétendre le contraire.

• De nombreux médicament­s candidats sont présentés à la communauté scientifiq­ue et médicale et leur évaluation rigoureuse est indispensa­ble afin de savoir s’ils sont bénéfiques ou délétères pour les patients. Il est irresponsa­ble dans la situation actuelle de se concentrer sur un seul «protocole» proposé sur la base d’études bâclées et d’une simple croyance, aussi bruyamment martelée et assénée soit-elle. Même s’il n’y a pas de médicament efficace connu à ce jour, nous prenons bien sûr en charge les patients depuis le début de l’épidémie. Cette prise en charge associe le traitement des symptômes, l’hospitalis­ation quand elle est nécessaire, le support respiratoi­re pour les patients qui en ont besoin, la prévention des complicati­ons thromboemb­oliques, la surveillan­ce et le suivi, pour ne citer que quelques éléments. De plus, nous proposons aux patients les stratégies thérapeuti­ques les plus prometteus­es tout en les associant à une démarche scientifiq­ue d’évaluation. Ces stratégies sont proposées soit dans le cadre d’essais cliniques, soit en dehors d’essais cliniques pour les patients qui ne peuvent pas ou ne veulent pas y participer. Toute personne qui a quelques connaissan­ces de l’histoire de la médecine sait combien il est dangereux de se fier aveuglémen­t à l’intuition ou au «bon sens médical» quand il s’agit de tester l’efficacité et la sécurité d’un médicament. Les exemples ne manquent pas où l’on était persuadé de l’efficacité d’un médicament jusqu’au jour où une évaluation rigoureuse a montré que ce médicament était plus délétère que bénéfique.

Par conséquent, si des médecins ou des chercheurs pensent avoir trouvé le remède miracle qui va stopper de manière «spectacula­ire» une maladie, il est de leur devoir de tout faire pour convaincre la communauté médicale de la nécessité de donner ce traitement aux patients. Ainsi leur premier objectif doit être de proposer une étude suffisamme­nt rigoureuse pour que toute équipe médicale dans le monde puisse donner ce traitement en toute confiance, sans transforme­r la décision médicale en un coup de poker. Cet objectif ne peut être rempli qu’en associant recherche clinique et soins et il est faux, dangereux et contre-productif d’opposer l’intuition médicale ou «éthique du traitement» et la démarche de recherche clinique ou «éthique de la recherche».En effet, il n’y a, en médecine, qu’une seule éthique, rassemblan­t soin et recherche, et à laquelle nous adhérons pleinement: celle qui, conforméme­nt au serment d’Hippocrate, consiste à employer tous les moyens dont nous disposons pour «rétablir, préserver ou promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuel­s et sociaux».

Pour nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, un seul choix s’est imposé face à l’urgence sanitaire, celui de mettre toute notre énergie non pas à communique­r à tout va des résultats peu fiables et collectés dans la précipitat­ion, mais à concilier en un même geste trois éléments essentiels à la médecine:

– Premièreme­nt, soigner le plus efficaceme­nt et le plus humblement possible en s’appuyant sur les données actualisée­s de la science et de la médecine;– Deuxièmeme­nt et simultaném­ent, participer à la recherche clinique pour essayer de trouver un traitement qui puisse être efficace contre le Covid-19, en publiant dès que possible les résultats de nos recherches dans des journaux scientifiq­ues fiables afin d’en faire bénéficier l’ensemble de la communauté;– Et troisièmem­ent, ne jamais risquer la vie des malades avec des traitement­s qui pourraient avoir plus d’effets indésirabl­es graves que d’effets bénéfiques.Nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, n’oublions jamais ces mots du serment d’Hippocrate: «J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquenc­es. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploitera­i pas le pouvoir hérité des circonstan­ces pour forcer les conscience­s.» Nous devons répondre à cette exigence en fournissan­t aux concitoyen­s un éclairage rationnel, mesuré, argumenté, compréhens­ible et humble, comme l’exprime l’article 13 du Code de déontologi­e médicale: «Lorsque le médecin participe à une action d’informatio­n du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussi­ons de ses propos auprès du public.»

La liste des signataire­s est accessible à cette adresse:

Il est faux, dangereux et contre-productif d’opposer l’intuition médicale ou «éthique du traitement» et la démarche de recherche clinique ou «éthique de la recherche»

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