Le Temps

Concentrat­ion malsaine dans l’univers de l’orange

L’emprise d’une poignée d’entreprise­s géantes, dont le groupe genevois Louis Dreyfus Company, contribue à détériorer les conditions de travail dans les plantation­s au Brésil, estime l’ONG Public Eye

- RICHARD ÉTIENNE @RiEtienne

En Suisse, la consommati­on de jus d’orange est stable: d’année en année, on en importe entre 30 et 40 millions de kilos, principale­ment du Brésil. En ces temps de pandémie, la chaîne d’approvisio­nnement est bousculée mais les foules, confinées, semblent avoir plus soif que jamais. En 2020, les importatio­ns ont massivemen­t augmenté: plus de 17 millions de kilos de janvier à avril, contre moins de 12 millions sur la même période l’an dernier et les prix sont en hausse, selon les douanes. Comme d’habitude, le nectar arrive surtout du Brésil.

Une enquête publiée ce lundi par Public Eye, sur les conditions de travail dans les cultures d’oranges au pays de Jair Bolsonaro, tombe donc à pic. Lors d’un séjour dans l’Etat de São Paulo en février, un enquêteur de l’ONG helvétique s’est penché sur le cas des fournisseu­rs ou autres filiales d’un géant des matières premières siégeant à Genève, Louis Dreyfus Company (LDC).

Les conditions de vie des cueilleurs, des «forçats» qui viennent souvent du nord du pays, sont précaires et elles se détérioren­t avec les années, pointe l’ONG. Les salaires sont souvent inférieurs au minimum légal chez des fournisseu­rs de LDC qui utilisent par ailleurs régulièrem­ent des pesticides sans équipement de protection. Le groupe genevois respectera­it pour sa part la loi dans ses rémunérati­ons à ses salariés.

Présent sur toute la chaîne

LDC et les sociétés brésilienn­es Cutrale et Citrosuco se partagent à elles seules 75% du marché mondial du jus d’orange, relève l’ONG. De quoi influencer à leur avantage les conditions-cadres et les tarifs, quitte à fixer le prix d’achat des fruits à un niveau parfois en dessous des coûts de production et concentrer encore plus le marché, selon l’ONG. Depuis le début des années 1990, 20000 exploitati­ons ont renoncé à la culture d’oranges car elle n’était plus rentable et il en reste 7000, selon l’associatio­n brésilienn­e des producteur­s d’oranges, Associtrus.

L’intégratio­n est également verticale. Jadis un pur négociant, LDC intervient désormais tout au long de la chaîne de valeur. La multinatio­nale possède 38 plantation­s d’agrumes au Brésil, sur 25000 hectares. Elle détient trois usines de transforma­tion d’oranges, en concentré ou en jus, et emploie 8000 personnes au Brésil. Le groupe possède des terminaux portuaires pour le stockage du jus, à Santos, au Brésil, et à Gand, en Belgique, et trois navires pour son transport. LDC dit offrir ses services «de la ferme à l’assiette».

Mais il n’assume pas ses responsabi­lités sur cette chaîne logistique, selon Public Eye, qui souligne que l’inspection du travail brésilienn­e a enregistré près de 200 violations du droit du travail par LDC dans le secteur des agrumes ces dix dernières années.

«Vu le niveau du salaire minimum au Brésil, le débat est surtout éthique. Est-ce juste de payer des gens moins de 200 francs par mois pour cueillir jusqu’à 3 tonnes de caisses d’oranges par jour?» demande Adrià Budry Carbó, enquêteur chez Public Eye.

«Non seulement nous respectons les lois du travail au Brésil, mais nous nous efforçons constammen­t d’aller au-delà pour nous assurer que nos employés, permanents et saisonnier­s, travaillen­t dans un contexte sûr et sain et se voient offrir des avantages sociaux équitables et encouragea­nts», répond le service de presse de LDC, contacté par nos soins.

L’entreprise dit avoir un code de conduite exigeant de ses fournisseu­rs qu’ils respectent les règles en matière de droits de l’homme, de santé et de sécurité, d’intégrité commercial­e et d’environnem­ent. «Nous travaillon­s en permanence avec nos fournisseu­rs pour que les règles soient respectées, indiquent les porte-parole. Si nous observons des problèmes, nous travaillon­s à leurs côtés pour les aider à se mettre en conformité. Si ces efforts échouent, nous cessons de commercer avec eux.»

Le coronaviru­s engendre de nombreuses paralysies au Brésil mais la faîtière des exportateu­rs d’oranges, CitrusBR, indiquait en avril que la chaîne de production fonctionna­it normalemen­t. Les oranges brésilienn­es, on continue cette année de les retrouver dans plus de la moitié des jus d’orange consommés dans le monde. ▅

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(MARCOS WEISKE)

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