Santorin, en attendant la déferlante touristique
La réouverture des frontières en Europe rebat les cartes de la saison touristique estivale. En Grèce, le premier ministre était samedi sur l’île de Santorin, une opération visant à rassurer la population et les touristes
GRÈCE «Nous sommes prêts pour accueillir les touristes.» C’est ce mot d’ordre que les Grecs ne cessent de clamer à l’approche de l’été. Mais derrière son décor de carte postale, Santorin, désertée depuis plusieurs mois, économiquement étranglée, ne cache plus son inquiétude. Les vacanciers vont-ils revenir?
«L’été grec est un état d’esprit, comme le dit notre campagne nationale; c’est un sentiment de bonheur, de liberté et de tranquillité que rien ne peut emporter.» Ces quelques mots, le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, (Nouvelle Démocratie, droite) les a prononcés ce samedi 13 juin, à la veille de la réouverture des frontières du pays, lors d’un déplacement sur l’île de Santorin.
«Nous sommes prêts pour accueillir les touristes», a-t-il martelé tout au long de ce voyage millimétré. Accompagné d’une dizaine de ministres et d’une soixantaine de journalistes, il a passé en revue tous les secteurs clés de la vie touristique «post-Covid-19»: visite de l’hôpital, du site archéologique, du vignoble ou encore rencontre avec des professionnels du tourisme, de l’agriculture, de la santé… «Je ne veux pas faire de la Grèce la destination numéro 1 en Europe. Je veux en faire la destination la plus sûre de l’Europe», a-t-il souligné lors de la conférence de presse finale. Alors qu’en arrière-plan, le soleil plongeait dans la mer Egée et inondait le ciel de dégradés orangés, le premier ministre, chemise blanche légèrement ouverte, s’exprimait en anglais pour être compris par le monde entier.
Numéro de charme
Ce numéro de charme avait deux objectifs: rassurer les habitants, attirer les touristes. Le premier ministre a-t-il convaincu? «Depuis le mois de mars, c’est la première fois que je travaille… Et encore, ce n’est qu’une journée», répond Vangelis*, conducteur d’un des bus du convoi ministériel. Pour lui, «nous vivons une catastrophe et ne savons absolument pas quand nous en sortirons… Les touristes reviendront-ils vraiment?» Car pour l’instant, sur l’île, les rues sont vides, les terrasses des cafés désertées, les voitures de location alignées sur des parkings, et les agences immobilières ont leurs rideaux tirés.
«C’est une période étrange. En vérité, j’essaie de rester optimiste», livre Stavros, un serveur de 34 ans qui travaille au restaurant Chez Marios et vit depuis dix ans sur ce caillou volcanique planté dans la mer Egée. Pour lui, la Grèce, qui a fait très tôt le choix du confinement et ne déplore que 183 morts pour 10,8 millions d’habitants, compte sur ce succès sanitaire pour capter les vacanciers des quatre coins du monde. Cette stratégie suscite chez lui une inquiétude: «Si le virus revenait à se propager, ce serait un désastre. Une nouvelle fermeture des restaurants et des hôtels serait, cette fois, le coup de grâce.» Mais au quotidien, il a également une autre crainte: celle de l’avenir économique et social de l’île comme du pays: «Beaucoup d’hôteliers espèrent rouvrir aux alentours du 15 juin ou le 1er juillet. Mais la plupart n’ont que trois ou quatre réservations alors qu’ils comptaient sur un taux de remplissage de 90%. Certains n’ont même pas un seul client annoncé avant la mi-juillet.»
Margarita Karamolegou, dont la famille a ouvert l’un des premiers complexes hôteliers en 1972 et qui en possède aujourd’hui quatre à Santorin, confirme que son carnet de réservations est vide. Pour elle, l’île n’accueillera que 35% des touristes par rapport à 2019. Elle ne pourra donc pas faire tourner ses quatre établissements cet été. Malgré tout, elle en ouvrira certains. «C’est un peu héroïque car nous fonctionnerons à perte», précise-t-elle. Ajoutant: «Il faut que les salariés puissent travailler! Sinon, ce sera un désastre pour eux.»
En effet, sur les 3,5 millions d’actifs que compte la Grèce, 700000 travaillent dans le tourisme, un secteur qui représente 25% du PIB. Or, «en raison de la baisse de l’activité touristique, il n’y aura que 200000 à 225000 travailleurs embauchés», estime Savas Robolis, professeur émérite d’économie à l’Université Panteion d’Athènes. Pour lui, «un grand nombre de personnes seront sans travail en juillet et en août.» En outre, dans l’état actuel, le système grec ne leur permettra pas de percevoir une indemnisation pendant l’hiver.
Derrière le décor digne d’une carte postale, les nuages s’accumulent sur l’île comme ils planent sur le secteur touristique de la Grèce et de nombreux pays méditerranéens. «D’habitude, à cette période de l’année, c’est plein ici, de l’ouverture jusqu’à 2 heures du matin», explique la serveuse du café La Scala, à Thira. Devant elle, une vue magnifique embrasse tout l’archipel. Mais elle se désole: «En ce moment, nous ne tournons qu’à 10 clients par jour, 15 au maximum… Je me demande si la saison va commencer, si nous allons survivre.»
Plus de bateaux de croisière
Un peu plus loin, Rania Pandilieri équeute des haricots verts à un rythme machinal, les yeux rivés sur l’archipel et les eaux d’un bleu argenté. Elle vit depuis trente-cinq ans à Santorin où elle possède un café avec une terrasse à la vue idyllique. «D’habitude, des bateaux de croisière mouillent ici. Pas un seul ne s’est posé depuis mars!» s’exclame-telle. Elle est inquiète: «Le loyer est très cher ici, 8000 euros par mois, sans compter l’eau, l’électricité… J’espère que l’Etat va nous aider sinon je ne sais pas si nous survivrons à cette crise.» En contrebas de sa terrasse, des cris de mouettes retentissent. Elles s’amusent dans la piscine d’un hôtel, vide de touristes, devenue leur terrain de jeu.
Margarita Karamolegou, qui possède quatre hôtels à Santorin, confirme que son carnet de réservations est vide
«Une nouvelle fermeture des restaurants et des hôtels serait, cette fois, le coup de grâce»
STAVROS, UN SERVEUR