Le Temps

Grâce aux start-up, la technologi­e des matières plastiques réinventée

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

Le progrès élargit le spectre des technologi­es à même de diminuer l’empreinte plastique humaine. En Suisse, une cohorte de jeunes sociétés investisse­nt ce champ, bien décidées à conjuguer écologie et rentabilit­é

Trouver des substituts au pétrole, enrichir la palette des plastiques recyclable­s, rendre cette filière plus efficace ou identifier de nouveaux débouchés pour valoriser la matière récupérée: le potentiel d’améliorati­on est gigantesqu­e dans l’industrie du plastique, ce qui n’a pas échappé aux entreprene­urs.

Dans l’ombre des medtechs, des biotechs ou encore des fintechs, la Suisse a ainsi vu éclore ces dernières années une bonne poignée de start-up qui ont la ferme intention de révolution­ner un secteur d’activité sous pression. Le révolution­ner en réduisant sa facture environnem­entale, mais aussi en développan­t des modèles d’affaires rentables.

«La rentabilit­é, nous nous devons de la viser.» Florent Héroguel, cofondateu­r en 2019 de la société Bloom Biorenewab­les, est ainsi catégoriqu­e. Auréolée depuis une semaine du prestigieu­x Prix W.A. de Vigier, la jeune pousse veut attaquer le «mal à la racine», offrir une alternativ­e à l’or noir, en le remplaçant par du plastique fabriqué à partir de la biomasse.

«Il peut s’agir de bois, de coquilles de noix que nous allons «bio-raffiner» pour produire du plastique», explique le jeune ingénieur. Dans un marché aussi concurrent­iel que colossal, la start-up vise le secteur agroalimen­taire en proposant des emballages biodégrada­bles. Le projet paraît taillé sur mesure pour le fonds lancé en janvier par Nestlé: la multinatio­nale veveysanne veut créer un fonds de capital-risque de 250 millions de francs pour ce type d’entreprise.

Un tel soutien accélérera­it le développem­ent de Bloom, qui mise sur des rentrées financière­s, voire des bénéfices, dans cinq ans. A l’instar de beaucoup d’autres jeunes pousses de cette filière, elle prévoit un modèle mixte combinant ses propres usines de fabricatio­n à l’octroi de licences.

Avant cela, il faut trouver du financemen­t. La société fribourgeo­ise est en recherche de fonds. Tout comme DePoly, autre jeune entreprise. A Sion, elle oeuvre à l’autre bout de la chaîne de valeur. Grâce à son procédé de dépolyméri­sation du PET, elle récupère deux composants chimiques: l’acide téréphtali­que et le monoéthylè­ne glycol. La société voit aussi grand. Si elle trouve les financemen­ts, sa directrice, la chimiste Samantha Anderson, entend construire une première usine, «idéalement en Suisse», pour démocratis­er sa technique brevetée, jugée moins énergivore et meilleur marché que les approches actuelles.

Trouver de l’argent. Beaucoup d’argent. «La plupart des start-up actives dans cette filière sont en recherche de fonds», observe Eric Plan, secrétaire général du cluster Swiss CleantechA­lps. C’est que les technologi­es propres sont gourmandes en capital: «En matière d’investisse­ments à risque, ce secteur a environ 15 ans de retard sur celui de la biotech, constate-t-il. On n’a pas encore réussi à définir des étapes standardis­ées permettant de démontrer la valeur de la technologi­e et de «dérisquer» l’investisse­ment en capital-risque.»

A la tête de l’entreprise vaudoise Tyre Recycling Solutions (TRS), Staffan Ahlgren enfonce le clou: «Le recyclage, ce n’est pas jugé sexy par les investisse­urs européens, surtout en Suisse.» L’homme sait de quoi il parle. Créée en 2013 pour produire à partir des pneus usagés une poudre de caoutchouc dotée de nouvelles propriétés mécaniques, son entreprise a déjà levé 20 millions de francs. Elle effectue en ce moment un tour de table supplément­aire. TRS fait d’ailleurs une incursion dans l’univers des déchets plastiques qu’elle associe à sa poudre de caoutchouc. Le composé mixte obtenu peut être utilisé pour de nouveaux produits, comme des containers ou des gendarmes couchés.

Basée à Préverenge­s, dans le canton de Vaud, la société a bâti une première usine à Yvonand. Elle annonce cette semaine la création d’une coentrepri­se en Chine, un pays qui a, selon Staffan Ahlgren, bien mieux compris le potentiel de cette industrie. Peu sensible aux fluctuatio­ns conjonctur­elles, celle-ci offre des perspectiv­es presque infinies: «Pour chaque applicatio­n que nous trouvons, il y a un marché mondial.»

Quête de sens

C’est dans le secteur de la constructi­on que la start-up valaisanne UHCS a choisi d’opérer, elle qui fabrique des profilés modulaires à base de PET pour un nouveau type de bâtiments. Tout jeune spin-off issu de l’EPFL, Plastogaz cherche de son côté à transforme­r le plastique non recyclé en méthane, tandis que Pyrotech veut produire du carburant à partir de déchets plastiques.

Si les initiative­s foisonnent, c’est aussi parce que s’attaquer à la pollution plastique correspond bien à la quête de sens des start-up, cette volonté de changer le monde. Pour donner corps à leur vision, certaines sociétés devront toutefois se frotter à la pétrochimi­e, déterminée à défendre, voire étendre, son pré carré. Toutes ces entreprise­s vont surtout devoir convaincre du caractère vertueux de leur activité, avertit Eric Plan: «Elles doivent pouvoir prouver qu’elles sont aussi bonnes que les autres sur le plan énergétiqu­e.»

«Le recyclage, ce n’est pas jugé sexy par les investisse­urs européens»

STAFFAN AHLGREN, DIRECTEUR DE TYRE RECYCLING SOLUTIONS

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