Black Lives Matter: après les marches, on fait quoi?
La pandémie de Covid-19 a révélé de profondes disparités dans l’accès aux soins de santé. Aux Etats-Unis, une mortalité plus que proportionnelle a frappé les Noirs. En France, malgré l’absence de statistiques, le département de la Seine-Saint-Denis, qui abrite une forte population noire, a été l’un des plus touchés. En Suisse, la misère sociale des travailleurs précaires, parmi lesquels des Noirs, a éclaté au grand jour. Cette vulnérabilité accrue a attisé un sentiment d’injustice chez les Noirs occupant bien souvent des emplois exposés à la contamination. C’est dans ce contexte qu’intervient le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis, entraînant une vague d’indignation mondiale qui a marqué de la plus belle des manières la sortie du confinement.
La Suisse n’est pas en reste. On a marché à Neuchâtel, à Zurich, à Berne, à Lausanne, à Genève, en scandant: «Black Lives Matter!» La vie des Noirs compte. On s’est ému que chez nous aussi de jeunes Noirs meurent entre les mains de la police, dont la fonction est de protéger les personnes et les biens. Encore une fois, les Suisses et les Suissesses sont descendus dans les rues pour signaler à leurs dirigeants qu’ils ne veulent pas d’une société où le danger, la peur, la vulnérabilité frappent ses membres déjà exclus ou défavorisés pour cause de racisme. Le plus saisissant dans les cortèges, au-delà de leur diversité, a été l’âge des participants. Oui, c’est principalement la jeunesse suisse qui s’est levée pour dire non au racisme et à son corollaire, la violence policière. Il convient donc que cette terre pétrie de démocratie directe en tire toutes les conséquences.
Au niveau cantonal, on pourrait envisager des sessions spéciales des parlements des jeunes sur la question du racisme et des discriminations. En plus de renforcer leur intérêt pour la politique, le bien commun, cela permettrait de verbaliser l’indignation qui a dévalé les rues, de lui donner un contenu et surtout d’adopter des mesures qui favorisent l’égalité des chances en vue d’une existence harmonieuse de toutes les communautés. Cette jeunesse a toujours été habituée à l’altérité, les différences d’origine ne constituent pas pour elle un repoussoir, bien au contraire. Elle saura, si on l’écoute, articuler cette société plus juste dans laquelle elle désire déployer ses ailes.
Par ailleurs, un débat sur le racisme est nécessaire. L’un des premiers chantiers est la compréhension du racisme et de ses mécanismes. Il suffit de faire un tour sur le site internet du Service suisse de lutte contre le racisme pour réaliser que nous sommes encore loin du compte. Puisque, pour cet organisme, «les cas de discrimination raciale ont rarement un fondement idéologique. Ils sont plutôt l’expression de l’ignorance, de peurs diffuses, d’agressivité, de préjugés ou d’un manque d’empathie.»
L’autre chantier est bien sûr d’interroger les représentations du racisme dans l’espace public, que ce soit sur les affiches publicitaires ou concernant les sculptures. La statue de David de Pury à Neuchâtel est un cas exemplaire. Les héros, c’est-à-dire ceux qui sont honorés, doivent être en adéquation avec les valeurs de l’époque. Comme il est intolérable de célébrer ou d’entretenir la mémoire d’une personnalité qui se serait caractérisée par son sexisme, son homophobie, son antisémitisme, il doit en être de même du racisme. Et que l’on ne parle surtout pas ici de «politiquement correct». Le «politiquement correct» se situe plutôt dans cette tendance à rabaisser, à invalider, à délégitimer l’autre.
Enfin, on pourrait envisager la création d’un musée de l’esclavage et du racisme. L’un des moyens les plus efficaces et durables d’éradiquer le racisme et toutes les formes de discrimination reste l’éducation. Dans ce sens, un musée peut être d’un grand apport pour contextualiser ce phénomène et offrir le cadre d’une discussion apaisée et fondée sur la vérité historique. Mais, ne nous y trompons pas, toutes ces mesures, si elles voient le jour, n’atteindront pas leur but tant que les Noirs n’auront pas accès à la prospérité, tant qu’ils n’auront pas le sentiment que la société est juste à leur égard.
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Cette jeunesse a toujours été habituée à l’altérité, les différences d’origine ne constituent pas pour elle un repoussoir, bien au contraire