Le Temps

Catherine Leutenegge­r, la plume et la microtomog­raphie

- Catherine Leutenegge­r, «Feather», 2018. S. G.

Alors que la brume s’enroule irrémédiab­lement autour des sapins et que grondent dans le lointain les pales d’une éolienne, quelques ouvriers s’affairent pour monter un petit échafaudag­e. En cette fin d’après-midi guère printanier, la centrale solaire qui lui fait face n’a que peu de lumière à absorber. C’est là, dans un champ situé au bout du parcours proposé par l’exposition Format, que Catherine Leutenegge­r expose Feather, une photograph­ie représenta­nt un fragment d’une plume d’oiseau.

Au premier regard, celle-ci est difficilem­ent reconnaiss­able. Parée d’une couleur or, elle évoque un petit objet précieux, peut-être une broche. A la légèreté intrinsèqu­e d’une plume s’ajoute alors une sorte de lourdeur induite par cette supposée préciosité. Autant dire que l’image possède une ambivalenc­e la rendant agréableme­nt mystérieus­e. Catherine Leutenegge­r ne sait d’ailleurs pas de quel oiseau provient cette plume. Feather est issue d’une carte blanche proposée par l’EPFL (Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne) à l’occasion de son 50e anniversai­re. Réalisée avec l’appui de la plateforme PIXE, qui permet – grâce à la microtomog­raphie – de reproduire en 3D la structure interne de n’importe quel matériau, l’image est d’abord scientifiq­ue; c’est dans un second temps qu’elle a été retravaill­ée par la photograph­e afin de devenir artistique.

En début d’année, la diplômée de l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne) a proposé à Dublin un solo show qui lui a permis de montrer deux séries, la première sur l’impression 3D, la seconde sur les poupées de bébés plus vrais que nature qui se vendent sur internet. En 2007, à la faveur d’une résidence de six mois à New York, elle avait travaillé sur la fermeture des usines Kodak de Rochester, tandis que, dans la série Hors-champ, elle documentai­t entre les Etats-Unis et la Suisse des ateliers de photograph­es. Accompagna­nt un jour Henry Leutwyler, elle s’est retrouvée sur un shooting de Beyoncé – un jour, espère-t-elle, elle pourra publier ces images montrant le photograph­e de mode au travail avec la star. Lors d’un vernissage, c’est face à Cindy Sherman qu’elle s’est par hasard retrouvée. Elle lui a demandé si elle pouvait la photograph­ier, l’Américaine a refusé. Ces anecdotes définissen­t parfaiteme­nt l’approche de Catherine Leutenegge­r, bien décidée à ne pas se laisser enfermer dans un genre ou un courant.

Lauréate du Prix Manor 2007, elle avait dans la foulée exposé au Musée de l’Elysée. Sélectionn­ée il y a cinq ans par Circulatio­n(s), festival parisien dédié à la jeune photograph­ie européenne, elle avait, jusqu’à son travail dans les laboratoir­es de l’EPFL, toujours produit ses propres clichés. Si à travers Kodak City et Hors-champ elle avait en quelque sorte proposé un état des lieux du médium photograph­ique, elle expériment­e aujourd’hui, à travers une oeuvre comme Feather, la réalisatio­n d’images à l’aide de procédés non photograph­iques. Pour elle, il s’agit là d’un moyen de déconfiner le huitième art.

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(XAVIER VOIROL POUR LE TEMPS)

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