Catherine Leutenegger, la plume et la microtomographie
Alors que la brume s’enroule irrémédiablement autour des sapins et que grondent dans le lointain les pales d’une éolienne, quelques ouvriers s’affairent pour monter un petit échafaudage. En cette fin d’après-midi guère printanier, la centrale solaire qui lui fait face n’a que peu de lumière à absorber. C’est là, dans un champ situé au bout du parcours proposé par l’exposition Format, que Catherine Leutenegger expose Feather, une photographie représentant un fragment d’une plume d’oiseau.
Au premier regard, celle-ci est difficilement reconnaissable. Parée d’une couleur or, elle évoque un petit objet précieux, peut-être une broche. A la légèreté intrinsèque d’une plume s’ajoute alors une sorte de lourdeur induite par cette supposée préciosité. Autant dire que l’image possède une ambivalence la rendant agréablement mystérieuse. Catherine Leutenegger ne sait d’ailleurs pas de quel oiseau provient cette plume. Feather est issue d’une carte blanche proposée par l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) à l’occasion de son 50e anniversaire. Réalisée avec l’appui de la plateforme PIXE, qui permet – grâce à la microtomographie – de reproduire en 3D la structure interne de n’importe quel matériau, l’image est d’abord scientifique; c’est dans un second temps qu’elle a été retravaillée par la photographe afin de devenir artistique.
En début d’année, la diplômée de l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne) a proposé à Dublin un solo show qui lui a permis de montrer deux séries, la première sur l’impression 3D, la seconde sur les poupées de bébés plus vrais que nature qui se vendent sur internet. En 2007, à la faveur d’une résidence de six mois à New York, elle avait travaillé sur la fermeture des usines Kodak de Rochester, tandis que, dans la série Hors-champ, elle documentait entre les Etats-Unis et la Suisse des ateliers de photographes. Accompagnant un jour Henry Leutwyler, elle s’est retrouvée sur un shooting de Beyoncé – un jour, espère-t-elle, elle pourra publier ces images montrant le photographe de mode au travail avec la star. Lors d’un vernissage, c’est face à Cindy Sherman qu’elle s’est par hasard retrouvée. Elle lui a demandé si elle pouvait la photographier, l’Américaine a refusé. Ces anecdotes définissent parfaitement l’approche de Catherine Leutenegger, bien décidée à ne pas se laisser enfermer dans un genre ou un courant.
Lauréate du Prix Manor 2007, elle avait dans la foulée exposé au Musée de l’Elysée. Sélectionnée il y a cinq ans par Circulation(s), festival parisien dédié à la jeune photographie européenne, elle avait, jusqu’à son travail dans les laboratoires de l’EPFL, toujours produit ses propres clichés. Si à travers Kodak City et Hors-champ elle avait en quelque sorte proposé un état des lieux du médium photographique, elle expérimente aujourd’hui, à travers une oeuvre comme Feather, la réalisation d’images à l’aide de procédés non photographiques. Pour elle, il s’agit là d’un moyen de déconfiner le huitième art.
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